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Fléau, brut et fascinant sur son deuxième album II

Photo : Raphaël Lugassy

Le côté positif à s’appeler Fléau, c’est que le curieux qui tombera sur sa discographie par le plus grand des hasards ne sera pas totalement surpris lorsqu’il aura cliqué sur “play”. Non pas qu’écouter Fléau soit une calamité mais que l’action requiert un minimum d’informations avant de s’engouffrer dans l’abîme. Le cinéaste et musicien bordelais Mathieu Mégemont (Year Of No Light, VvvV, AE…) est de retour avec un nouvel album, le bien nommé II, offrant une parenthèse obscure et sulfureuse à qui voudra bien la saisir.

Donnant suite à son premier album éponyme sorti en 2015 dans lequel il affirmait déjà un faible pour les ambiances anxiogènes, Fléau enfonce cette fois-ci le clou un peu plus loin en proposant cinq morceaux s’étallant sur près d’une heure, jalonnés d’une noirceur déroutante. Sans inciter son auditeur à regarder un tutoriel sur les noeuds coulants, la marque de Fléau repose sur la recherche d’une synergie des nappes de synthés tonitruantes qui se superposent et s’assemblent, à l’image du morceau “III” et sa montée légère, qui prend le temps de s’installer avant de laisser place à une symphonie délicate et tragique. C’est à travers cette sensation de vertige permanent, comme une descente aux enfers ultra-lente, que la musique de Fléau se révèle la plus efficace : brute, désarmante et dans l’air du temps.

On a échangé nos plus beaux numéros (coucou) avec Mathieu Mégemont pour lui poser quelques questions sur cet album mystérieux et singulier.
 

Le Bombardier : Est-ce que tu peux me parler de la naissance de ce deuxième album?

Mathieu Mégemont : L’album s’est fait en deux temps. Fléau à la base c’était un projet de studio et même un nom que j’avais utilisé dans un court-métrage pour lequel j’avais fait la musique. Je m’étais amusé à jouer et enregistrer des thèmes à partir de synopsis qui traînaient et c’est comme ça qu’est né mon premier album. Quand Anywave, le label qui l’a sorti m’a demandé de faire des concerts pour le promouvoir, il m’a semblé extrêmement compliqué de le défendre sur scène. Il y avait deux morceaux avec quelques boîtes à rythmes mais mon travail est surtout centré sur les ambiances. Pour la scène j’ai donc essayé de faire des trucs qui tapent un peu, c’est à dire de mettre des kicks la plupart du temps. L’idée de faire de la synthwave complètement débile n’étant pas vraiment mon truc, j’ai ralenti les tempos. Avec la contrainte d’être seul sur scène, je ne sais pas comment le dire autrement mais je me sentais quand même à poil donc j’ai commencé à composer des morceaux avec beaucoup plus de pistes et de sons par rapport à mon premier disque qui était très minimaliste, en 8 pistes.

J’ai donc composé deux morceaux pour mes premiers concerts qui ont donné naissance à ce deuxième disque. Je ne voulais plus m’inspirer de synopsis et partir d’histoires déjà écrites pour les illustrer mais opter plutôt pour le procédé inverse : créer des morceaux beaucoup plus longs avec des structures “introduction – développement – conclusion” et plutôt que d’en faire une bande imaginaire de film, les façonner davantage comme des courts-métrages sonores. Ce qui m’a amené à avoir des morceaux entre 10 et 15 minutes très orchestrés.

C’est un peu mon trip mégalo et je me suis rendu compte que j’en ai foutu partout. Je trouve ça intéressant de commencer avec un premier disque ultra minimaliste avec des morceaux très courts et pour le deuxième album d’éclater complètement ce schéma avec un trip maximaliste et des morceaux très longs.

 

Je me souviens t’avoir vu à l’International et en arrivant dans les escaliers j’avais déjà été assez surprise par la quantité de matériel que tu utilisais.

C’était mon premier concert. Et encore, ce n’était rien par rapport à ce que j’ai utilisé pour le deuxième disque, c’est juste le matériel que j’avais pu transporter en train ! Pour mon premier album j’avais utilisé deux synthés et pour ce deuxième j’en ai utilisé sept. J’ai eu un peu la collectionnite. C’est le problème des synthés. Quand tu commences à t’y intéresser tu t’aperçois que chaque marque a sa couleur sonore particulière. Je suis devenu hyper débile et je n’arrive plus à m’arrêter, c’est compulsionnel.
 

C’est important pour toi de jouer exclusivement sur des instruments analogiques?

Absolument. Au départ je dois avouer qu’il y avait peut-être un peu de snobisme. J’ai fait partie de la génération qui a commencé à faire de la musique électronique avec des VST. On avait tous des synthés virtuels à disposition en les crackant. J’avais un Moog sur mon ordinateur mais quand je me suis retrouvé à en jouer sur un vrai pour la première fois, je me suis aperçu que ça n’avait rien à voir. Il y a aussi ce côté ultra ludique d’avoir un instrument, de tourner les boutons, il y a ce rapport charnel qui se crée.

Le snobisme a laissé place à un véritable amour pour les synthés analogiques.

Après sur le deuxième disque on retrouve un petit peu de digital. Des marques comme Roland réussissent très bien à virtualiser les circuits de leurs anciens synthés comme le Juno et Jupiter et pour le coup je n’ai pas 4000 balles à foutre dans un vrai Jupiter. J’ai acheté le petit module entièrement digital et je défie quiconque s’intéresse aux synthés de faire la différence entre les sons que j’ai faits avec le Jupiter digital et les sons que j’ai faits avec mes synthés analogiques.
 

Myriam Barchechat

 

On peut parler de rejet?

Complètement. Ensuite j’enregistre sur ordinateur, c’est mon multipistes. Pour tout ce qui est effets et plugins de mixage c’est surtout de l’informatique. Les sources sont principalement analogiques, comme mes pédales d’effets, mais je traite tout numériquement.
 

J’ai remarqué un changement d’ambiance par rapport à ton précédent album, avec des atmosphères peut-être davantage travaillées, des rythmiques plus présentes comme sur “II” ou “III”. Qu’en penses-tu?

Je savais que ça allait être un album long parce que j’allais avoir 4 ou 5 titres de dix minutes et l’idée était que l’auditeur reste intéressé par de la musique instrumentale sur presque une heure. J’ai donc inséré des kicks et quelques rythmiques parce que je pense que c’est un bon moyen de maintenir l’attention. Ça permet aussi d’avoir des plages plus ambiantes et de les faire durer plus longtemps.
 

Si tu ne travailles plus à partir de thèmes, comment composes-tu maintenant ?

Je pars de séries d’accords ou développements harmoniques ou mélodiques et mon truc c’est d’empiler jusqu’à avoir, même au milieu du bordel ambiant, quelque chose de grandiose, qui pète. A partir du moment où j’obtiens ça, je soustrais les éléments en trop et je construis ce qui précède et ce qui suit. Je cherche donc le climax. Comme je suis scénariste je parle beaucoup à partir d’éléments cinématographiques mais c’est tout à fait comme ça que ça se passe, à partir du moment où j’ai trouvé mon climax je peux écrire mon premier acte et le dernier.
 

Tu poses frontière bien définie entre ton univers cinématographique et ton univers musical?

Non, les deux se mélangent. Je ne fais pas de différence entre ce que je propose musicalement et ce que j’écris. En plus je crée la musique des films que je fais, là j’ai commencé à composer de la musique pour d’autres réalisateurs, donc il n’y a pas vraiment de différence. Après, je pense que la musique que je joue pour les films est quand même différente de celle de Fléau. Pour l’instant en tout cas je n’ai jamais foutu de kick dans mes morceaux pour des bandes originales. J’envisage la musique de manière à ce qu’elle puisse s’écouter sans image.
 

On voit souvent revenir les noms de John Carpenter ou encore Philip Glass quand on parle de ton travail, y a-t-il d’autres noms qui t’inspirent qui sont peut-être moins cités?

Le Drone a cité Philip Glass et c’est vrai que c’est une énorme influence pour moi. Après je ne sais absolument pas si ça s’entend dans ma musique. Glass fonctionne beaucoup par pattern comme Reich, par séquences du coup, et moi je ne pense quasiment rien dans ma musique, tout est joué à la main. Donc ça va un petit peu à l’inverse de ça même si j’aime bien foutre des arpèges et puis les faire contre croiser comme sur la dernière piste “V”, il y a des trucs assez vicieux comme ça. Carpenter, c’est la première influence le problème c’est qu’il y a 100 000 mecs qui sont venus au même moment que moi et qui se réclament de Carpenter mais ça reste une influence primordiale. Sinon j’aime beaucoup ce que j’appelle les pionniers c’est à dire les premiers qui ont fait de la musique synthétique c’est à dire Wendy Carlos ou encore Bernard Szajner que j’adore, Igor Wakhevitch, un moment où on ne savait pas trop si c’était de la musique concrète ou de la pop synthétique. Les premiers Jarre aussi, Oxygen est vachement bien, le premier Klaus Shultz je trouve ça super, Irrlicht. Tangerine Dream je n’aime pas du tout. Parmi les gens qui font de la musique originale je pense à un mec comme Colin Towns qui a fait une BO fin 1970 pour Le Cercle Infernal, un film que je trouve magistral. Pour les gens d’aujourd’hui j’aime énormément Rob, Robin Coudert, le mec qui fait les claviers pour Phoenix entre autres et qui fait aussi de la BO synthétique, je trouve que c’est l’un des meilleurs aujourd’hui. Un mec qui s’appelle Sinoia Caves qui fait partie de Black Mountain et qui fait de la BO de film qui est vachement bien. Après je ne passe pas ma vie à écouter de la musique synthétique, et surtout je n’écoute plus vraiment de trucs actuels. Mais mes influences principales se situent surtout fin 70-début 80’s. Pink Floyd aussi et Christophe des années 70.
 

Est-ce que tu peux me parler du son d’orgue omniprésent dans cet album?

Je pense qu’il s’agit de l’ADN de Fléau. Si je devais revenir à un dispositif hyper minimaliste, je prendrai du Moog pour les basses et de l’orgue.
 

Des dates prévues?

Pour le moment il y a une date de calée qui sera la Release Party au Petit Bain le 17 mai avec Alessandro Cortini. C’est super.
 

Tu sais déjà comment tu vas t’y prendre?

Déjà je vais me remettre à répéter parce que je suis hyper occupé en ce moment. Après je viendrai avec ce que je peux prendre en train. Donc ce sera un dispositif minimaliste mais je vais faire en sorte que ça sonne le mieux possible.
 

Y a-t-il un morceau dont tu es le plus fier sur cet album?

Le dernier. Je pense que c’est celui qui est le plus difficile d’accès mais quand je l’ai finis je me suis dit que je n’avais jusque là rien fait d’aussi bien. Il y a à peu près tout ce que j’aime dedans.
 

Qu’est ce que tu écoutes en ce moment?

J’écoute en boucle le premier album de Kate Bush en ce moment, The Kick Inside et les six premiers albums de Black Sabbath. J’ai aussi beaucoup écouté le premier album de Flavien Berger, Léviathan. Je trouve qu’il est très fort.
 


 

II de Fléau est disponible via Atelier Ciseaux et Anywave.

Vous pouvez également vous le procurer à Paris chez Born Bad Recordshop ou MusicfearSatan et à Bordeaux à Total Heaven Record Shop.

Fléau sera en concert à Paris au Petit Bain le 17 mai avec Alessandro Cortini (event).