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Il est l’heure de partir dans la 4ème dimension avec Yôkaï

En voilà un projet qui requiert de l’attention : Yôkaï. Si notre oncle alcoolisé s’y est repris par six fois avant de jeter le clavier par la fenêtre, ces cinq lettres sont en réalité un mot japonais. “Yôkaï” désigne un monde surréel ou règnent en maître des démons et génies, interagissant avec les humains, notamment par le biais des rêves, pour attirer leur attention sur la dimension cachée des choses.

C’est aussi le nom de cette formation bruxelloise composée de huit musiciens qui sort aujourd’hui son premier album éponyme, un périple assuré dans cette quatrième dimension. Dès le premier titre “Plutonia”, arrivent ces quelques notes entraînantes appelant à se laisser emporter. On plonge alors dans un kaléidoscope où les styles n’ont plus aucune importance.

Si l’on peut déceler plusieurs influences, du jazz aux compositions cosmiques de Sun Ra ou du krautrock à la Can, le temps lui aussi est suspendu dans ce joyeux bordel organisé où les instruments s’invitent et jamment ensemble. L’album se savoure (surtout) au bout de plusieurs écoutes, lorsqu’on se familiarise avec cet univers singulier et ces compositions complexes. Les moins courageux pourront s’empresser sur “Petit indien n°3”, une ballade pop et nostalgique cachée au beau milieu de ces huit titres. Comme on ne fait pas les choses à moitié, on vous offre le clip en exclu sur Le Bombardier :

Et puisqu’une longue chronique ne vaut pas les explications d’un musicien, Jordi Grognard de Yôkaï s’est attelé à l’exercice du “track-by-track” :

PLUTONIA
Ce morceau est sorti en prélude à la sortie de l’album, il nous paraissait être une bonne porte d’entrée dans l’univers du groupe. Le beat m’évoque presque un morceau de « old school hip-hop » superposé d’une mélopée orientale qui fait en quelque sorte le lien entre le premier EP (sorti en autoproduction en 2005) dont l’inspiration était nettement plus baigné d’influences orientales-psychédéliques et d’éthio-jazz et la version actuelle du groupe qui transcende les barrières stylistiques et laisse plus de place à l’improvisation. Il y a quelque chose du souffle envoûtant de Yusef Lateef dans la mélodie à la flûte, et un motif tenu aux claviers qui n’est pas sans m’évoquer Steve Reich ou Terry Riley.

DAPHNE
On change complètement d’atmosphère pour entrer dans un univers planant, voir cosmique mais nettement plus inquiétant. Le morceau laisse en quelque sorte l’auditeur en suspension jusqu’au commencement d’Argo, troisième morceau de l’album. A ne pas écouter seul au volant d’une voiture !

ARGO
On relâche la pression avec un morceau à la pulsation libératrice, plus ancré dans une couleur éthio-jazz. Killer riff à la guitare, mélodie jouée par les saxs ténor & baryton, gros break, ligne de basse qui chaloupe, ça balance du lourd ! A certains égards, ce n’est pas sans me rappeler certaines productions afrofunk/éthio- jazz des Whitefield Brothers. A noter, pour les geeks & les musiciens, le petit solo de Farfisa aux accents contrapuntiques (contrepoint baroque à la J.S Bach).

EUONYMUS
On passe à un niveau de tension supplémentaire. Ce morceau est extrait de la deuxième session d’enregistrement qui a eu lieu en décembre 2017, session durant laquelle nous avons laissé une place prépondérante à l’improvisation, ce qui correspond à l’option choisie pour la construction de nos concerts où nous n’avons pas de setlist et où nous mélangeons allégrement compositions issues du EP et de l’album et plages de pure improvisation. Pour cette plage, on peut presque parler de kraut rock à la sauce bruxelloise. Pas de chis-chis, ligne de basse minimale et répétitive, batteries sèches et obstinées, sons saturés, passage au Rhodes ‘dé-tuné’ & nappes denses de claviers à multiples échos. Ceux qui achèteront le vinyle pourront constater que l’album a été pensé dans la cadre d’une écoute morcelée en face A / Face B. Euonymus clôture par ailleurs la première face.

PETIT INDIEN N°3
Carrément la chanson la plus ‘pop’ de l’album, (et peut-être la seule ‘chanson’ du disque). Le morceau a été composé par Yannick. Ce morceau ci a été enregistré lors de la première session d’enregistrement et mixé par Jean Vanesse (tout comme Plutonia, Argo, Petit Indien n°3 et Digitaline) qui avait déjà mixé notre premier EP. Au niveau du chant, nous avons fait appel à notre amie Lynn Cassiers, connue en tant qu’artiste électronique mais également comme vocaliste. Elle est très active dans le milieu du jazz belge. Les paroles de Petit Indien n°3 sont simples, poétiques et impressionnistes. Le résultat dégage un parfum de nostalgie.

OPUNTIA
Peut-être le track le plus Bitches Brew (Miles Davis) de l’album. Il s’agit d’une improvisation très atmosphérique, après l’éclaircie de Petit Indien n°3, la musique retourne vers des paysages sonores plus sombres… Ci et là, on peut entendre de la clarinette basse et des échos de guitares au lointain. Il en résulte une sensation ‘dé-structurée / ou de ‘déstructuration’, c’est comme on veut.

X
Toujours issu de la deuxième session d’enregistrement enregistrée et mixée par Vincent Pujol, X est une plage qui s’inscrit dans la lignée d’Euonymus, à savoir une plage Kraut au tempo soutenu et au groove entêtant nappé de guitares fantômes, de claviers et d’une bonne touche de psychédélisme. Il y a un aspect qui me semble viscéralement tribal à ce morceau. Sacré trip à l’écoute.

DIGITALINE
Digitaline clôture le disque en douceur avec les claviers du génial Eric Bribosia et dixit Yannick – batteur et compositeur du morceau – qui évoquent une impression de quelque chose qui “se dilate, se dilue, s’évapore puis disparaît pour laisser place au silence.

Le premier album de Yôkaï est disponible via Humpty Dumpty Records.