Dans le radar

Dans le radar #65 : Cyril Meysson

Photo : Aurélie Raidron

Notre boîte mail est pleine à craquer de projets qui ne demandent qu’à être découverts. Voici “Dans le radar”, la rubrique où l’on demande aux musiciens de se présenter à partir de questions simples. Aujourd’hui, c’est au tour de Cyril Meysson de répondre au questionnaire du Bombardier.
 

Je m’appelle…

Cyril Meysson, j’utilise maintenant mon propre nom pour mon projet solo à la guitare. Pendant une longue période où je me cherchais encore beaucoup, et notamment quand j’ai commencé à enregistrer, je me servais de “Cyril M.” parce que je pense que ça me rassurait un peu, comme si je ne signais pas complètement ce que je faisais. Mais je crois être arrivé à un moment où j’accepte un peu plus que je puisse me tromper, ou même simplement échouer une tentative, plutôt que d’espérer aligner une poignée de disques géniaux. Je pense que toute la mystique romantique autour du génie, du chef d’œuvre, de l’inspiration, c’est quelque chose dont je veux me débarrasser, d’autant plus que ça s’oppose avec l’idée même que je me fais de la musique expérimentale. À savoir, chercher sans gage certain de réussite. Et de toute façon, je n’ai jamais été très bon pour les pseudonymes.
 

Mon dernier album est…

Hinterland, un disque issu d’un collectif artistique du même nom que j’ai rejoint il y a quelques années. Cette rencontre est partie de l’idée d’une création de danse contemporaine où je devais faire la musique en live, mais qui finalement a évolué sur une forme beaucoup plus éclatée et intéressante, dans une sorte de laboratoire de recherche et de pratique basé sur des temps de résidence à Ramdam, à côté de Lyon et qui réunissait danse, musique, sculpture, textes, arts plastiques, vidéo… Bref, on s’amusait avec tout ce qu’on pouvait, avec chacun·e notre domaine de spécialité. On se retrouvait chaque été pour travailler des choses ensemble autour de thèmes communs, ou en solo selon les envies et les propositions, et notre création était en fait cette alchimie de choses qui prenaient place. On peut même y inclure l’aspect de la vie en commun, de se partager les repas, de dormir sur place, de décider de la répartition des tâches, qui participait à l’ambiance très forte de ces moments.

Et ça a vraiment été quelque chose de beau pour moi, car ça a complètement débloqué mon rapport à l’enregistrement. Tout d’un coup, je passais d’une pratique chez moi qui ne valait que ce que j’y mettais, à une pratique sonore qui était là simplement pour accompagner (ou parfois diriger) ce qui se passait devant moi. En gros, je faisais la bande-son des jours, en essayant le plus possible de me nourrir de ce qui se passait pour découvrir de nouvelles idées, et surtout, me répéter le moins possible ! Et ça a réglé d’un coup la question du sens de ce que je faisais, de pourquoi je le conservais. Ce qui rentre complètement en résonance avec le thème des archives, qui a par exemple été un de ceux qui ont réuni nos pratiques.
Le disque est donc un montage de ces archives sonores, afin de les rendre cohérentes sur le format du CD. Je veux dire que je suis reparti avec pas loin de 40 heures d’enregistrements, et qu’il me fallait forcément trier et organiser pour en conserver ce qui me semblait le plus adapté à ce support !

Pour la sortie à proprement parler, j’ai ensuite été aidé le label Soleils Bleus, basé à Strasbourg, pour pouvoir le sortir en physique et lui donner une existence tangible. C’est un label qui jette tout un tas de passerelles entre pratiques expérimentales et musiques traditionnelles, et qui le fait avec beaucoup de réussite, donc je suis très heureux d’avoir pu l’y faire figurer.
 

Si je ne devais choisir qu’un morceau pour en parler, ce serait…

“Diffraction”. C’est un morceau improvisé en solo que j’ai eu la chance d’enregistrer à la Chapelle Saint-Jean à Mulhouse en 2014, lors d’une tournée avec Lauren Rodz, Gilles Vignes et Dario Fariello où on changeait les formations chaque soir. Ça avait été monté pour qu’on puisse tous se rendre au Festival Bruitisme, qui en était alors à sa deuxième édition, avec au programme, les désormais traditionnelles 24h de concerts de noise en continu ! Et par émulation (ou par défi) le Collectif ödl en a monté sa version intitulée Cavité Synaptique, qui avait lieu à peine quelques jours plus tard cette fois dans une chapelle, lieu hautement inhabituel pour ces musiques. Maintenant que j’y pense, je ne compte plus les rencontres que j’ai faites pendant cette année, au moment où je commençais à vraiment à découvrir le milieu de la musique expérimentale en France dans son aspect disons, le plus punk, au contraire de toute la tradition électro-acoustique par exemple (ce qui n’empêche évidemment pas les ponts entre ces deux milieux, évidemment).

Et donc, une fois sur place, j’ai été très surpris de constater que, si les sons percussifs sont difficilement gérables dans ce genre d’acoustique, c’est par contre vraiment parfait pour de la noise abstraite, le son rebondit partout, bref c’est hyper vivant et beaucoup moins agressif qu’un mur d’amplis à moins d’un mètre. En plus, on m’avait prêté un ampli monstrueux, donc toutes les conditions étaient réunies pour pouvoir envoyer fort. Ce que je ne me suis pas privé de faire ! C’est même une des rares fois où j’ai réussi à chanter trois notes, ce que je n’ai jamais réessayé depuis. Il n’y avait ni mots ni micros, mais je suis content d’avoir ces quelques secondes qui tranchent avec le reste, surtout que j’étais mort de trouille sur le moment !
 

À mon prochain concert il faut s’attendre à…

Sûrement l’apparition d’un petit synthétiseur ! Pas vraiment pour faire des mélodies, mais ma musique ayant tendance à beaucoup fonctionner en appui sur des sons continus, je pense que ça m’aidera beaucoup à mieux prendre le temps de développer mes sons à la guitare, sans continuellement stresser du vide ou de la redondance. Ce sera aussi l’occasion d’enfin pouvoir fêter la sortie d’Hinterland, le 30 juillet au 17 à Saint-Étienne.
 

Mon souvenir le plus marquant en tant que musicien…

Une petite tournée que j’ai faite en solo au Japon, alors que j’avais à peine 19 ans. Même quand j’en parle maintenant, j’en viens presque à douter que ce soit vraiment arrivé ! Ça faisait à peine un an que je jouais en concert, surtout pour accompagner la violoniste Agathe Max qui m’a vraiment introduit au monde de la musique live de la meilleures des façons possibles. Venant d’un endroit rural, et d’une famille pas forcément mélomane, c’était un truc qui m’était complètement étranger, ce qui fait qu’à part un ou deux festivals, je n’avais presque jamais mis les pieds à un concert avant de partir m’installer à Lyon pour mes études. Par contre, j’avais passé un nombre incalculable de nuits (au prix de quelques malaises en cours, à cause de la fatigue accumulée) à télécharger des albums de musique expérimentale, notamment en provenance du Japon, justement, donc que je connaissais très très bien le sujet. Et un jour, je suis allé voir un concert d’A Qui Avec Gabriel et de Shin’ichi Isohata au Sonic, qui pour moi étaient des sommités du milieu. Sauf que, visiblement, mon avis n’était pas partagé puisqu’on s’est retrouvés à 3 personnes dans la salle sans compter l’orga et un ami que j’avais traîné là… Mais le concert était super, et ça nous a donné l’occasion de discuter, ce dont je n’aurais même pas osé rêver. Je pense que ça les a super touché·e·s de tomber sur quelqu’un d’à peine 18 ans qui en savait autant sur d’autres musicien.nes de là-bas.

Ils m’ont lâché en rigolant qu’il fallait que je vienne jouer au Japon, et puis finalement tout un tas de trucs se sont enclenchés pour que je me dise que j’allais vraiment le faire, notamment un disquaire de Tokyo, Deadstock Records, qui a partagé un de mes morceaux sur Soundcloud. Je lui ai écrit pour le remercier, la conversation s’est enclenchée et finalement il m’a carrément proposé de faire une interview qu’il traduirait ensuite en japonais. De mon côté, je n’étais pas encore trop pris par de gros engagements ni par mes études, alors j’ai trouvé un travail de nuit horrible, j’ai économisé à fond, recontacté A Qui et Shin’ichi, trouvé un autre concert à Tokyo organisé par les désormais célèbres Kikagaku Moyo, et j’étais parti pour une tournée d’une petite dizaine de jours en janvier !

… et je me rends compte que je n’ai toujours pas dit un mot sur l’expérience que j’en ai faite là-bas. Ce serait bien trop long. Mais je crois que de me refaire le récit de comment c’est arrivé m’aide à y croire moi aussi.
 

Si je n’étais pas musicien, je serais…

Malheureux, sans doute. Je préfère ne pas y penser. Sûrement que je pourrais trouver d’autres choses sur lesquelles avoir des obsessions passagères, mais pour le moment, la musique est une des rares choses qui me tienne vraiment constamment et qui ne se tarisse pas d’intérêt pour moi.
 

Mon disque de chevet, c’est…

J’ai parlé d’obsessions passagères juste avant, je fonctionne vraiment comme ça en général. Dès que je découvre un truc nouveau qui me parle, je fonce la tête la première pour le découvrir à fond. Donc souvent, pour un titre qui va me frapper, je vais enchaîner plusieurs dizaines de disques liés, d’articles, bref j’essaie vraiment de me plonger dedans et dans l’époque, si possible. Et surtout, j’accumule des dizaines de milliers de titres sur mon ordi. Du coup, c’est très très rare qu’un disque puisse traverser toutes mes périodes qui s’enchaînent parfois hyper vite. Mais si je dois penser à un disque (parmi tant d’autres !) qui ne manque jamais de me faire kiffer, c’est le premier album de cLOUDDEAD, avec cette construction en patchwork hyper bancale et cette couleur sonore très duveteuse.
 

En ce moment j’écoute en boucle…

Les martinets qui volent au-dessus du quartier où je vis à Saint-Étienne. Ils ont une sorte de cri strident qu’ils font quand ils s’amusent à faire la course entre eux et que j’entends toute la journée, tous les jours où il fait grand soleil. Autant dire tout le temps. Mais c’est un son que j’adore.
 

Mon rêve ultime, c’est…

Ne plus bloquer des heures sur une question comme celle-ci.
 

Hinterland est disponible ici via Soleil Bleus.