Il aurait fallu y voir un signe. La première fois que l’on a parlé à Jean-Sébastien Nouveau, chanteur, guitariste et tête pensante des Marquises, c’était au sortir du confinement. Envers et contre tout, l’été s’installait. Leur quatrième album – et l’un des meilleurs disques de l’année – venait de paraître, au titre évocateur, qui pourrait résumer à lui-même cette année 2020 : La Battue. La traque à un virus qui a radicalement changé notre manière de vivre et peut-être même, notre perception du monde. S’en sont suivies et s’en suivent toujours, d’autres traques, des relectures de valeurs morales dites universelles. Que deviennent-elles aujourd’hui face à des individus désorientés et apeurés?
Alors dans son nouvel album, le duo lyonnais ne répond pas à cette question. Avant d’être une œuvre à résonnance collective, il s’agit avant tout de morceaux composés pour soi. Jean-Sébastien Nouveau le confirme : ses sujets de prédilection sont le passage du temps et la recherche constante d’une manière adéquate de concilier plusieurs périodes de sa vie. En enterrer certaines, en exposer d’autres comme l’enfance et l’adolescence, à la lumière d’un processus créatif. Explorer les émotions et les sentiments, ceux de la perte, de la chute, de l’abandon, de la douleur : une mélancolie constante, le fil conducteur probablement le plus lisible de La Battue. Pour cette création, un point d’honneur a été mis sur les notions d’essentiel, d’intime : composer et enregistrer ces neuf morceaux à deux (Jean-Sébastien Nouveau donc, et Martin Duru aux claviers), sans avoir recours à des collaborations, à d’autres artifices. Seulement les participations de Rémy Kaprielan au saxophone sur “The Trap” et à la batterie sur d’autres titres, et de Jonathan Grandcollot aux percussions sur “Older Than Fear”.
En résultent des compositions où les genres se mélangent, passent sans préavis de la pop hypnotique à l’électronique chamanique et expérimentale, aux accents indus oppressifs. Un sentiment d’urgence surgit d’emblée dès le premier titre pour ne jamais lâcher l’auditeur. On décèle une envie de résistance dichotomique où la lutte – entre éloge et rejets des maux – est sublimée, comme sur les points culminants de l’album : “La Battue”, “The Trap”, ou encore “Head As A Scree” (clippé par Nick Uff, réalisateur de certains clips de Portishead). Même si, comme pour une escalade, aucune étape n’est dispensable pour saisir et vivre pleinement l’expérience. On serait tentés tout de même de souligner un aspect lumineux de La Battue, notamment sur le dernier morceau par la présence de ce bruit sourd, par les sons d’orgues solennels : “Once Back Home”. Le retour du voyage, de l’épreuve fondamentale : comme Ulysse. Pour pouvoir recommencer, pourquoi pas, et en mieux.
Le Bombardier : Votre nouvel album La Battue est sorti il y a presque deux semaines, quels sont les retours que vous avez eu jusque là ?
Jean-Sébastien Nouveau : J’ai l’impression que c’est le disque qui a eu les meilleurs retours pour le moment. Ils sont excellents. Je ne sais pas combien de temps cela va durer et s’il va toucher des médias plus nationaux mais j’en suis très content.
Pourquoi ce besoin de se resserrer sur une formule à deux sur cet album ?
C’est né d’un constat. Généralement sur les disques des Marquises il y a plusieurs chanteurs. Au tout début de la composition de ce disque, je me suis dit que c’était quelque chose en tant qu’auditeur qui ne me plaisait pas trop. Pour pénétrer un disque, j’aime n’avoir qu’un seul fil conducteur vocal. Je trouvais donc plus facile d’instaurer un rapport intime avec une seule voix. Aussi, contrairement aux disques précédents où j’étais le meneur et où je m’entourais de musiciens, on a composé cet album à deux dès le départ avec Martin Duru. Du fait de cet investissement supplémentaire de sa part dans la musique, j’ai eu envie d’investir complètement le chant.
Qu’est-ce qui a changé par rapport au disque précédent quant à la composition et à l’enregistrement ?
Le disque précédent est assez lourd, il y a beaucoup d’intervenants et d’instruments différents, l’enregistrement s’était déroulé sur une longue période et l’ingénieur du son était là pour tout enregistrer. Il y avait deux batteurs, des violons, de la contrebasse, de la guitare électrique… Ce sont des enregistrements qu’on a fait avec des personnes différentes donc qui s’étaient étalés sur le temps. Là, du fait qu’on a tout fait à deux, l’ingé son est seulement intervenu au moment de l’enregistrement des batteries puis du mixage.
Vous avez gagné en liberté ?
On est sûrement allés plus rapidement, ça nous évitait un planning à rallonge. Ici, il y a beaucoup de claviers, peu d’instruments acoustiques. C’était beaucoup plus simple à réaliser.
C’est un album qui, même si je l’aime pas trop l’expression, a l’air de “tomber à pic”, où l’idée d’effondrement est présente.
C’est un disque intime. Le morceau qui s’appelle “La Battue” est le morceau le plus emblématique du disque. Le plus personnel par rapport aux paroles aussi. Le sujet de l’effondrement est un sujet qui m’a toujours plu. Je parle d’effondrement intérieur plus qu’extérieur, même si ça peut faire écho à d’autres types. C’est un album sur quelque chose d’assez renfermé sur soi, assez mental, assez centré.
Pourquoi avoir choisi La Battue pour titre d’album, qu’est-ce que ça représente pour vous ?
La Battue pour moi, c’était une sorte de battue des sentiments. Comme une traque des sentiments, de son intériorité, de ses peurs.
A un moment donné j’ai eu envie de rassembler tous mes sentiments et tout ce qui me fait, et de tout pousser dans un coin, le cerner et le bloquer.
Un peu comme une battue va essayer de traquer le gibier et de le coincer quelque part.
Tu utilises la musique comme une thérapie, j’ai lu dans une précédente interview que tu parlais de “tuer l’enfant et l’adolescent” que tu avais été, qui était en toi. Comment ont été écrit les textes de cet album ?
On a écrit les paroles à deux, peut-être même que Martin en a écrit plus que moi. Généralement je les écris tout seul. Je me rends bien compte que je parle souvent des mêmes choses au bout d’un moment. C’est toujours vu par un prisme nouveau, par rapport à comment je me sens au moment où j’écris et par rapport à mon évolution dans ma vie. Les mêmes thématiques reviennent, notamment celle de l’adolescence et l’enfance : comment faire on pour s’en débarrasser et être libre, être tourné vers le présent et le futur, être libéré des poids. Je sens que ça n’a jamais été totalement possible, qu’on ne peut pas se défaire de ça. C’est une mission vouée à l’échec mais avec des progressions tout de même ! Ça nourrit en tout cas mon désir de faire de la musique. Je fais aussi de la musique avec un goût esthétique, ce n’est pas seulement qu’un exutoire.
Tu as réalisé deux clips pour cet album, celui de “The Trap” et “Hosts Are Missing”.
J’en avais déjà fait un pour “Les Maitres Fous” sur l’album Pensée Magique. J’aime beaucoup faire du montage à partir d’images d’archives. Prendre des images issues de plein de films différents, les brasser et leur donner un nouveau sens. Je suis mon instinct, comme quand je fais de la musique. Je n’ai pas de scénario pré-établi, j’essaie d’assembler des images qui me plaisent ensemble et je ne sais jamais bien où je vais. C’est quelque chose que je trouve hyper ludique.
Savez-vous dans quelle configuration vous serez en live ?
On a fait une résidence à l’Epicerie Moderne à Lyon pour travailler notre live. On va jouer à deux, Martin et moi, en formule resserrée aussi. On va mettre l’accent sur la partie plus électro de l’album. On va jouer beaucoup de ce dernier album, quelques morceaux intenses des anciens disques. Notre but est de faire un set assez court mais très dense, très intense. Pas insoutenable mais un peu terrassant, accompagné de vidéos pour chaque titres. La volonté de jouer à deux, c’est aussi pour que ce soit plus simple techniquement, pour se déplacer.
J’ai lu qu’il y a dix ans, au moment de la fondation des Marquises, le live ne t’intéressait pas spécialement. As-tu changé d’avis sur la question ?
J’ai évolué mais disons que le but ultime de faire de la musique pour moi, c’est de faire des disques. C’est mon absolu. Faire du live, je trouve ça chouette, de voyager et de rencontrer des gens en tant que musicien. Mais pour la musique en elle-même, le live en est une forme dégradée, on ne peut pas forcément contrôler la qualité du son. J’ai quand même très envie de tourner avec cet album ! D’autant plus qu’avec les vidéos projetées on a fait en sorte qu’il soit plus immersif.
Je suis tombée sur une performance des Marquises avec Adèle Haenel à la Maison de la Poésie, j’ai trouvé peu d’infos sur cet événement, peux-tu m’en dire un peu plus ?
C’était un projet one-shot. Je suis ami depuis très longtemps avec Vergine Keaton qui a fait la pochette du disque de La Battue. Elle a fait un court-métrage d’animation qui s’appelle Le Tigre de Tasmanie pour lequel on a fait la musique. Quand elle a réalisé ce film, elle était très inspirée par le philosophe Empédocle et a voulu travailler ces textes avec Adèle Haenel. Martin qui est journaliste chez Philosophie Magazine connaît bien ce domaine et ils ont fait un montage des textes, qu’on a mis en musique et bossé avec Adèle Haenel pour cette date à la Maison de la Poésie. C’était très chouette, ça s’est fait facilement.
Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?
Je ne suis plus vraiment l’actualité musicale ces derniers temps. J’écoute le dernier Matt Elliott, le dernier Tindersticks. Pendant le confinement j’ai beaucoup écouté de folk.
La Battue est disponible ici via Les Disques Normal.
Les Marquises en concert – si tout va bien – :
28/11 : PARIS (Petit Bain)
11/03 : LAUSANNE (La Datcha)
12/03 : LYON (FESTIVAL TRANSFER # 4, Le Transbordeur)
13/03 : CREST (Chez Eugène)
19/05 : BESANÇON (Bains Douches Battant)
03/06 : LIEGE
04/06 : BRUXELLES (Botanique)