Retiens la nuit

Retiens la nuit #3 : The Supermen Lovers

D’en haut, ils appellent ce que nous vivons “une année noire pour la culture” : une année où depuis mars dernier, les concerts sont interdits et les regroupements synonymes de danger. Nombreux sont ceux – organisateurs, programmateurs, tourneurs, régisseurs, artistes – qui aujourd’hui cherchent à se réinventer pour pouvoir (ou du moins essayer) maintenir leur activité et créer une nouvelle forme de lien social, en dépit de nouvelles mesures sanitaires et gouvernementales.

Pour témoigner ensemble d’un temps qui n’est plus vraiment, où l’on pouvait sortir le soir, aller à des concerts, rencontrer des gens et bien d’autres choses encore, pour se rappeler des plaisirs que nous procurent ces événements, ces lieux, ces personnes, on a demandé à plusieurs artistes et différents acteurs du milieu musical de nous raconter leurs souvenirs de concerts. Les meilleurs comme les pires, vécus en tant que musiciens ou spectateurs, pour se remémorer l’importance primordiale de ces moments de vie culturelle et sociale. Comme un recueil où chacun pourra y laisser son mot dans l’attente et l’espoir qu’un jour proche, on puisse retrouver ce qui nous anime le plus.

Aujourd’hui, c’est au tour The Supermen Lovers, alias Guillaume Atlan, de partager son témoignage. Pour celles et ceux qui auraient la mémoire courte, il faut remonter à 2001, année où son single “Starlight” déchaîne les passions. Si le morceau a grandement participé à la démocratisation de la musique dite électronique en France et au-delà de nos frontières, il a aussi probablement contribué à l’élan créatif du producteur à en croire sa discographie plus qu’étoffée. Ces dernières années, on a pu le croiser au détour de quelques scènes parisiennes et c’est d’ailleurs de ces concerts qu’il a choisi de parler. Et il a bien eu raison : pour avoir assisté à celui de la Machine du Moulin Rouge, on avait rarement vu une foule aussi heureuse de danser et chanter à l’unisson.

Il y a quelques jours, c’est son nouveau single “Pigeon” qui a enthousiasmé nos oreilles, titre issu de son quatrième album à paraître l’an prochain, “Body Double”. Avec son clip réalisé par Maxime Baudin qui suit un homme d’affaires poursuivi par des pigeons, les images accompagnent un gimmick aussi fédérateur qu’emballant.
 


 

J’ai deux souvenirs de concerts où j ai failli me mettre à pleurer à la fin. Ils sont tout deux très similaires. Mais le plus fort reste le plus récent.

Vous pourriez penser que je vais parler de concert de l’époque “Starlight”. Mais non. Bien qu’entre 2001 et 2003 le public était vraiment plus dense, qu’il m’arrivait même de ne pas apercevoir la fin de la foule, mes 2 meilleurs souvenirs furent au Badaboum en 2015, pour un concert où j’étais seul à l’affiche, et à la Machine du Moulin Rouge en octobre 2019 dans le cadre du MaMa festival.

Pour le Badaboum, J’étais très surpris de voir la salle remplie, non pas par des quarantenaires venus se rappeler leurs années fac, mais par une nouvelle génération de 20 – 30 ans. Le concert est un succès.

Pour la Machine du Moulin Rouge, je me disais que le public était venu pour plusieurs artistes dans le cadre du Mama Festival. J’allais donc devoir convaincre des gens fans de d’autres artistes.

Contrairement au live du Badaboum, où je mêlais machines, séquences et véritables instruments (Thomas Naïm à la Guitare et Gilles Wolf au saxophone), celui de La Machine était essentiellement composé de machines et de synthés, pads électroniques. Pierre Baslé, qui m’accompagnait sur ce gig, gérait les séquences lorsque je jouais du keyboard/synthé/vocoder et jouait les parties “percus” sur le pad, m’aida à monter le set up sur la scène en fin d’après midi. La scène était parfaite et le soundcheck s’est bien passé.

Après un diner avec l’équipe du label La Tebwa (coproducteur et coéditeur avec mon label Word Up Records des disques de The Supermen Lovers), un groupe de journalistes et quelques amis, nous nous dirigeâmes vers la Machine du Moulin Rouge. Lorsque nous entrâmes je fus ravi de voir de vieux amis en pleine performance sur la scène : La Caution. En 2001, les deux frères de La Caution avaient fait un remix terrible de “Starlight”, qui pour je ne sais quelle obscure raison n’a pas pu sortir officiellement.

L’ambiance en backstage était détendue et de tout horizon musical, de Sara Zinger à Grégoire.

On vient me chercher pour me dire que tout est prêt sur la scène et qu’il ne manque que moi. Je monte avec Pierre, on se trouve face à un public dispersé qui n’applaudit quasiment pas. Quelques “ouaiiiiis” ou “allez papa”. J’allais devoir faire mes preuves comme au premier jour. Bah ok… je vais vous mettre à genoux. Voilà ce que j’ai pensé.

Petit à petit et au bout de 10 minutes la salle est pleine à craquer et commence à crier sévèrement. Je n’ai aucune idée d’où viennent tous ces gens. Peut être ils se cachaient derrière le bar.. ? C’est bon je les tiens. Je vais pas vous lâcher mes cocos.

Une heure et quart de plaisir intense qui ne faisait qu’augmenter car plus nous jouons, plus la foule devenait hystérique. C’est la première fois que j’entendais des gens hurler à ce point pour ma musique. Et plus ça hurlait, plus je voulais jouer, jouer et partager !! J’avais tellement de choses à leur dire, et je pouvais le crier avec puissance et une jouissance extrême. Dès que je prenais un clavier ou un synthé, le public était à 100% avec moi. Je me souviens d’avoir fait le final sur “The Bridge” (sorti en 2003 sur le Fantasia Disco EP). J’ai failli casser le Nord Stage sur lequel je tapais un solo complètement barré !

Et c’est la fin. Ca hurle dans tous les sens. Je dois toucher les mains de gens qui me supplient presque de répondre à leur “give me five”. Ca envoie du “merci” avec tellement de cœur et d’amour que je sens que je vais chialer. La petite larme, personne ne l’a vue, pas même Pierre, mon partenaire dans ce live complètement fou, ni même Romain, mon agent. Je l’ai gardé discrètement pour moi.

J’étais tellement heureux.

 

Son nouveau single “Pigeon” est disponible ici. Nouvel album Body Double à paraître en 2021.