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Baignade Interdite : on a interviewé Benjamin Maumus, le programmateur du festival

Photo : Édition 2018 - Noyades par Jean-Luc Clercq-Roques

C’est un vent de liberté qui soufflera dans le Tarn du 29 août au 1er septembre prochain à l’occasion de la huitième édition du festival Baignade Interdite. Organisé par l’association Triple A, le festival se tiendra dans un lieu atypique de la commune de Rivières (à découvrir dans ce teaser, conçu pour la précédente édition) repensé pour l’évènement. Des bassins d’une piscine désaffectée à la base de loisirs d’Aiguelèze, tout est fait pour mettre en valeur la programmation originale, pleine de caractère et internationale de Baignade Interdite.

Pendant ces quatre jours de festivités au bord de l’eau, on pourra ainsi se mouvoir avec le krautrock saugrenu de Snapped Ankles, la pop psyché de Vanishing Twin ou découvrir la techno expérimentale des Belges de Why The Eye. Côté français, on pourra compter sur Société Étrange pour l’ambiance exotico-hypnotique ou s’accorder une pause devant Vacarme et les violoncelles de Marion Cousin & Gaspar Claus. Du rock péchu à la transe, en passant par le jazz, le blues et les musiques expérimentales, Baignade Interdite ne se refuse rien et ne s’impose aucune limite. On a interviewé Benjamin Maumus, programmateur du festival, pour lui poser quelques questions sur cette huitième édition.
 


 

Le Bombardier : Comment es-tu arrivé à la programmation du festival Baignade Interdite?

Benjamin Maumus : Le projet est né de manière collective. Sur la forme, on a longtemps occupé la terrasse d’un café qui s’appelle La Javanaise, face au site des bassins d’une piscine désaffectée. La particularité de ce festival, c’est qu’une grande partie des concerts ont lieu dans ces bassins. On a passé de nombreuses heures à regarder ce site partir en miettes parce qu’il s’abîmait rapidement, du fait de son inoccupation. Rapidement, avec des copains et copines branchés musique, on s’est dit qu’on allait organiser quelque chose là-bas. C’est vraiment le site qui a provoqué la naissance de l’événement. Sur le fond, il y a une autre particularité de ce festival, c’est d’aller chercher des musiques qui ne sont pas forcément très connues ou très médiatisées. On n’a pas de politique de tête d’affiche, on est plutôt sur des propositions assez rares dans l’idée d’aller contre les clivages qui font le paysage culturel français d’aujourd’hui à mon goût.

Je suis ingé son et j’ai participé à pas mal de projets en tant que musicien dans le milieu des musiques expérimentales et contemporaines et j’ai toujours trouvé ça assez étroit. Pas dans la musique en elle-même, mais dans le contexte dans lequel c’était joué.

L’idée sur le fond de ce festival était de péter les barrières et de pouvoir autant écouter un quatuor à cordes que du harsh noise. Se permettre dans la programmation des grands écarts.

Quant à mon arrivée dans la programmation, ça faisait longtemps que j’étais dans la musique, je suis praticien et ingé son, j’organisais des festivals et des concerts il y a déjà une bonne quinzaine d’années. Donc assez naturellement, j’ai assumé le volet programmation en me nourrissant beaucoup des échanges et retours de l’équipe.
 

Tu disais que vous voyiez le site se délabrer, ça fait longtemps qu’il est désaffecté?

Ça fait entre 15 et 20 ans. On a récupéré ce site à l’abandon qui est encore la propriété de la commune. On a eu rapidement de très bonnes relations avec les gens de la commune de Rivières sur laquelle se tient le festival. Ils nous ont fait confiance et on a eu carte blanche – sans faire n’importe quoi – en tout cas beaucoup de libertés pour réorganiser ce site et je pense qu’ils ont compris qu’on participait à son bon entretien. Un site inoccupé vieillit très vite. Par exemple, on a pété tous les murs des vestiaires pour réagencer, faire des loges et un espace technique. Ça a permis de valoriser le site. C’est pour ça que le festival survit aux années, c’est qu’il y a un réel ancrage local autant en terme de public que d’organisation. C’est un bel équilibre entre des gens qui suivent le projet à l’année et d’autres qui viennent de loin parce qu’il y a ce condensé de choses très originales sur la programmation.
 

Est-ce que tu aurais quelques mots pour définir la programmation de cette édition? T’es-tu fixé un quelconque mot d’ordre?

Généralement, on dit que la programmation est aventureuse. Il y a cette question de la prise de risque qui est partagée entre les musiciens, les organisateurs et le public curieux. Il y a des groupes qui mettent des années avant de pouvoir venir parce qu’ils viennent de loin. Il y a des projets qui restent d’années en années. Chaque année, la programmation bouge avec certains dénominateurs communs qui font l’identité du festival.

Ce que j’aime transmettre, c’est le pouvoir de se faire surprendre.

Nous aussi on se fait surprendre tout comme le public, puisqu’on ne peut pas voir les groupes à l’avance la plupart du temps. Il y a une part d’inconnu qui est excitante et c’est quelque chose qui me tient à cœur de cultiver et entretenir cela au cœur de l’association. C’est un projet porté par un collectif sans lequel je ne serai rien. Je suis porté en première ligne parce que je suis coordinateur et programmateur mais il y a une réelle dynamique collective. C’est donc une nécessité que la programmation soit à l’image des gens qui travaillent dans ce collectif, ça me paraît vachement important. Que ce ne soit pas le délire d’un mec seul mais que ce soit partagé.
 


 

Comment tu recherches et sélectionnes les groupes programmés?

C’est un mélange. Il y a pas mal de gens qui nous envoient des propositions. Il y a un travail de veille, regarder ce que proposent les festivals de France et d’ailleurs, le web, la radio, les webzines beaucoup. Ces différents acteurs font que les groupes arrivent ici. Je suis aussi à l’écoute des personnes autour de moi. J’ai aussi des phases où je me retrouve seul, j’écoute beaucoup de musique, je combine des choses et j’arrive à une grande liste que j’envoie à l’asso. Pas pour faire une décision collégiale parce que ça ne marcherait pas, mais ça me permet d’avoir des retours.

Il y a également toute une réflexion entre la musique qui est proposée, le lieu et l’heure. Au-delà des concerts prévus dans les bassins, on en a fait aussi au bord de l’eau, sur des bateaux, dans des chapelles. Il y a toujours des lieux assez incongrus. En ce moment on travaille sur un barrage EDF qu’il y a dans la commune, on voudrait faire un concert dans l’usine qui est un lieu indus totalement incroyable.

Je suis convaincu que le contexte participe au fait que les gens puissent être disponibles pour la musique. Je pense que n’importe qui peut être interpellé par n’importe quelle musique dans un contexte bien précis. L’idée est de libérer les musiques des cases un peu confinées.

 

De souvenir de programmateur, as-tu eu un challenge particulier?

Finalement, maintenant, le festival est un peu installé. Il y a une période au début de trois à cinq ans où tu dois installer ton nom et faire tes preuves. Là, les challenges sont partout. Il faut trouver de l’argent, du contenu, des groupes intéressants. Pour moi aujourd’hui, c’est d’essayer qu’en interne, les gens qui bossent sur ce festival continuent à avoir la banane et soient excités à l’idée de contribuer au festival. J’ai l’impression d’avoir ce rôle. Ni chef ni patron de quoi que ce soit, mais moteur, qui pousse les gens vers l’avant.
 

Ton meilleur souvenir de festival?

Le festival s’appelle Baignade Interdite mais on est au bord du Tarn. Sur le fleuve, il y a une zone de baignade autorisée avec une piscine artificielle constituée de gros cubes en plastique. Sur ces gros cubes qui servent de plateformes, on a fait jouer Noyades l’année dernière, l’un des groupes les plus bourrins du festival, assez tôt le dimanche matin. Ça flottait, les gars bougeaient pas mal sur scène. Toute l’équipe technique était un peu à cran de voir les amplis trembler. Le maître nageur était imperturbable pour surveiller les bassins. Sur une espèce d’adéquation entre le lieu, le nom, le fond, la forme et la musique, les gens étaient totalement scotchés.
 

Y a-t-il quand même quelques noms que tu as envie de voir plus que d’autres parmi la programmation de cette édition?

Ah la question piège. Je peux te parler des groupes qu’on attend depuis longtemps comme Širom qui va jouer jeudi soir, des slovènes de Ljubljana avec une musique acoustique nourrie de folklorique, plutôt instrumental, avec une culture des musiques improvisées et bruitistes. Je pense aussi à Joshua Abrams Natural Information Society de Chicago. Ce sont des américains qu’on veut faire venir depuis deux ans, c’était assez délicat. Marisa Anderson, guitariste américaine. Un groupe italien aussi, Zu, ça fait partie un peu de mes groupes cultes quand j’étais plus jeune. D’ailleurs, c’est la tournée où ils rejouent en live un album sorti il y a dix ans je crois. C’est un très bon exemple, plutôt culture rock rentre dedans avec un gros son mais qui a quand même joué avec Peter Brötzmann, figure du jazz plutôt expérimental des musiques improvisées européennes. Donc ça montre de l’ouverture. Ce sont des groupes à l’image de ce qu’on peut proposer ici.
 

Un rider un peu fou à nous partager?

Celui de The Cosmic Dead de Glasgow. Ils ont un rider incroyable et super drôle. Sur la dernière page, ils ont un grand délire où ils demandent un bouquin qui commence par une certaine citation, des peignoirs avec leurs noms brodés derrière, un gourou. On a tellement ri qu’on a pris ça au pied de la lettre et on est allés au bout de la liste. On a pris un mec de chez-nous qui a passé toute la soirée y compris sur le plateau avec une toge. Le groupe était estomaqué parce que personne n’était allé au bout.
 

Toutes les informations sur le festival et la programmation complète ici

Artwork affiche : Inès Rousset

Photos : Ariane Ruebrecht