Quand on discute avec Anthonin Ternant, le fondateur du groupe Black Bones, on se rend rapidement compte que ses obsessions tournent autour de la pop, du mysticisme, de ses influences anglo-saxonnes et américaines et des projets bien menés. Si les deux premiers albums de Black Bones ont permis au groupe d’asseoir un univers débordant d’énergie, de mélodies maladivement efficaces et d’auto-dérision, leur troisième essai paru le mois dernier et intitulé justement Ghosts & Voices ne fait qu’appuyer la nature singulière de la formation, enchanteresse et lumineuse.
En novembre dernier, on avait pris notre plus beau téléphone (le rose) pour poser quelques questions à Anthonin Ternant en raison d’une date parisienne qui avait lieu à la fin du mois à l’Espace B. Le nom de ce troisième opus venait à peine d’être choisi. Depuis, cette interview est restée dans le fond d’un tiroir pour des raisons indépendantes de notre volonté (c’est ce qu’on dit quand on assume pas trop un retard). Elle est donc parfois désuette quant aux informations qu’elle contient mais cependant instructive sur les intentions du groupe quant à ce nouvel album. Quoi qu’il en soit, deux choses sont certaines : il faut s’empresser d’aller voir Black Bones en live dès que cela sera de nouveau possible (le 17 décembre au Point Éphémère) et Ghosts & Voices tient à l’évidence toutes ses promesses.
Le Bombardier : Ton groupe Black Bones est présenté comme la collision de tes projets solo. Tu travailles personnellement sur tous les aspects du groupe, de la composition à la réalisation des clips, peux-tu m’en dire un peu plus?
Anthonin Ternant : Avec mon ancien groupe The Bewitched Hands, on a été déçu par certaines collaborations. Si je fais beaucoup de choses, c’est à défaut de trouver des personnes qui comprennent suffisamment bien le projet avec qui bosser. Je ne suis pas pour tout faire de A à Z. Quant aux pochettes des deux disques de Black Bones, c’est une collaboration avec DDDXIE. J’aime bien l’idée que quelqu’un réinterprète l’univers du groupe.
Votre nouvel album est en préparation depuis quelques mois, où en est-il ?
Il est enregistré depuis un certain temps. On n’a pas la date exacte mais il devrait sortir au printemps prochain. Le titre vient juste d’être choisi, il s’appellera Ghosts & Voices. On a prévu une scénographie un peu particulière qui n’aura rien à voir avec celles d’avant où l’on était des joueurs de base-ball ou des Mexicains. Notre fil rouge, c’est la lumière noire qu’on va continuer à utiliser. Un décorateur de théâtre doit travailler avec nous. On va avoir des grands chandeliers sur scène qui seront pilotés par l’éclairagiste et qui pourront changer de couleur et d’intensité à volonté. L’idée est de donner l’impression d’être à l’intérieur d’un château. On ne les aura pas pour le 30 novembre puisqu’on attend une grosse résidence en début d’année prochaine pour préparer ce nouveau live. On essaie de garder en tête de ne pas être trop ambitieux en terme de volume des accessoires pour pouvoir jouer dans toutes les conditions possibles.
J’ai lu que vous l’aviez enregistré dans un ancien couvent, c’est de là que vient le côté mystique ?
Pendant plusieurs années, j’ai eu trois projets. Black Bones le groupe, The Wolf Under The Moon, une sorte de comédie musicale pop fluo, et un troisième projet Angel où je suis un ange, en solo. Pour ce projet-là, j’avais commencé à réécrire des morceaux et je me suis dit que ça serait con de les jouer tout seul. Au même moment, un festival à Châlons-en-Champagne nous a proposé avec Black Bones de faire une création inédite. C’est à partir de là qu’est né notre répertoire actuel. Quand il nous a fallu un lieu pour enregistrer, on a trouvé ce couvent qui a une histoire particulière : dans les années 80 c’était une secte, c’est ensuite devenu un lieu de résidence pour des compagnies de danse puis un lieu pour les créations artistiques au sens large. Dans un premier temps on a enregistré les instruments à l’intérieur du couvent parce qu’il y avait de multiples salles et chambres. On est revenu deux mois après pour enregistrer les voix, cette fois-ci dans la chapelle qui jouxtait le couvent. Toutes les réverbérations sont les réverbérations naturelles de la chapelle. C’est plutôt un hasard qui tombait bien. Les pièces du puzzle se sont imbriquées comme ça.
A propos du clip de “Destiny” sur l’Eurovision : pourquoi avoir choisi ce thème ? Vous iriez si on vous proposait de le faire?
Pour se faire voir et se faire connaître, le clip est dorénavant un passage obligé. On est de l’ancienne école où l’on sort d’emblée des albums mais on s’est aperçus qu’il faut plutôt sortir quelques titres et faire monter la sauce pour ensuite sortir l’album. On a donc sorti deux titres en début d’année. Le morceau “Destiny” n’avait à priori pas vocation à être un single mais ça nous faisait tellement penser à l’Eurovision, avec son côté fleur bleue, kitch et émouvant à la fois, les images nous sont venues tout de suite. Ça colle bien à l’idée que je me fais de l’Eurovision des années 70 avec des groupes comme Abba. C’était du tout cuit, ça tombait sous le sens. Je ne suis pas un fana de l’Eurovision, je trouve même ça chiant, autant que les Victoires de la Musique, mais je trouvais intéressant de trouver le côté positif d’un événement comme celui-ci. Si on nous proposait de le faire avec ce titre-là, oui à fond, ce serait marrant ! Sinon ce n’est pas vraiment un rêve.
Je lisais récemment un roman de Louis-Henri de la Rochefoucauld, La Prophétie de John Lennon, dans lequel le personnage mène une réflexion sur différentes manières d’actualiser la pop aujourd’hui. Il y est question de religion, de mystique. Tu penses que pop et spiritualité sont compatibles ? Est-ce que ce sont des thèmes qui traversent ton esprit ou tu considères l’aspect mystique comme un élément de scénographie uniquement ?
Quand j’ai commencé la musique au début des années 90, il y avait beaucoup de mystique dans les clips. J’étais ado, en plein Nirvana, Dinosaur Jr., ou même des trucs un peu plus variété comme Madonna. Cette atmosphère m’a vachement marqué. C’est avant tout le côté esthétique qui me plait mais je ne sais pas trop d’où ça vient ce truc, d’être un ange, un roi… C’est surtout du fun au départ. Ça reste de la pop, je n’ai pas envie d’être lourd dans le discours. Les groupes que j’ai adoré ado étaient dans le brassage des genres. Un groupe que je cite tout le temps, c’est Ween qui est un groupe qui s’est fait un peu oublié alors qu’il était assez important à l’époque. Ils savaient à la fois écrire de très belles chansons et composer des morceaux très drôles. J’adore ce mélange : écrire de beaux morceaux mélodiques et d’autres morceaux plus fun, pour danser et rigoler. Je tends vraiment vers ça, j’oscille toujours entre ces deux aspects.
Ça me fait penser au morceau “Kili Kili” avec des paroles en yaourt espagnol, j’ai trouvé ça assez drôle. On se concentre sur la musicalité du morceau plus que sur les textes.
Le côté visuel du projet, c’est aussi pour soutenir les textes. J’ai baigné dans la musique anglo-saxonne sans être anglais et sans être vraiment à l’aise avec la langue. Il y a une problématique que je n’ai pas encore résolue : je n’arrive pas forcément à jouer avec les mots, à être ludique avec un texte. Le fait d’ouvrir une voie visuelle, ça me permet de mieux me faire comprendre.
Le chant en anglais, c’est pour toi une question de sonorités, de ne pas trop se prendre la tête sur les paroles, ou pour un autre motif ?
Je compose de la musique de la même manière depuis que j’ai 17 ans. Si j’ai eu envie de faire de la musique, c’est effectivement grâce à des groupes anglo-saxons mais je n’ai jamais vraiment l’impression d’être à ma place quand je chante en anglais. Du coup, j’ai besoin de me justifier en faisant plein de trucs à côté : les clips, la scénographie. Peut-être que je vais finir par faire de la musique instrumentale, comme ça ce sera réglé ! Je me sens déguisé, une sorte de copie qui ferait comme les Anglais sans être Anglais. La réponse classique de facilité et de fuite, c’est de dire que j’utilise ma voix comme un instrument, mais il y a de ça, c’est un peu la vérité !
Tu as essayé d’écrire des textes en français ?
Oui, un, il s’appelle “Sur le quai“, on l’avait sorti avec The Bewitched Hands. Je l’ai écrit comme si j’écrivais en anglais, en commençant par un charabia pour obtenir une phrase qui va ressortir et pouvoir construire mon texte autour. J’ai écrit ce texte en français parce que dans l’instru, il y avait déjà quelque chose de très français, de très pop-synthé 80’s à la Gotainer et à la Lio. L’anglais ne fonctionnait pas sur ce morceau. Pareil pour “Kili Kili”, je ne parle pas un mot espagnol mais il n’aurait pas pu marcher dans une autre langue, c’est parce qu’il y a cette sonorité de mots que ça fonctionne.
Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?
J’écoute énormément de choses. J’ai récemment découvert Opal qui est un groupe américain des années 80, en regardant une émission qui s’appelle “What’s in my bag”, où des musiciens vont acheter des disques chez un disquaire à Los Angeles et expliquent à la fin ce qu’ils ont pris. Ça permet de découvrir plein de projets. Il y avait une émission avec Stephen Malkmus, le chanteur de Pavement qui avait parlé de ce groupe-là. L’album s’appelle Early Recordings. J’écoute aussi le dernier Nick Cave, Ghosteen. Ce disque est ouf et fait écho au côté mystique dans lequel je suis en ce moment, l’album est très épuré. Nick Cave avait deux fils jumeaux, il en a perdu un il y a quelques années, ses deux derniers disques parlent de cette disparition. C’est un peu lourd mais c’est hyper beau. Ensuite rien à voir, mais le dernier disque de Danny Brown, du rap contemporain avec un côté très pop, à classer à côté de Tyler The Creator, un peu chelou et hybride. Dans les bizarreries, j’ai réécouté Niagara. Un des membres est décédé il y a quelques jours. Ça a un peu vieilli mais les morceaux sont trop bien.
Ghosts & Voices est disponible ici.
Black Bones sera en concert le 17 décembre au Point Ephémère (event).