Interviews

Ouai Stéphane : poisson géant, invention et partage

Photo : Nico-M

Avec sa bonhomie naturelle, Ouai Stéphane inspire d’emblée la sympathie, de visu comme au téléphone. Repéré en 2018 lors de la sortie de son premier EP Ouai et d’un concert aux Trans Musicales qui a fait l’unanimité, ce Stéphane a à cœur de démocratiser la musique électronique avec une approche ludique et rafraîchissante et souhaite montrer que le style ne signifie pas nécessairement passer des heures derrière un Mac.

En témoignent ses lives dans lesquels Ouai Stéphane s’entoure d’un poisson géant mécanique qu’il fait chanter, nommé Billy Gates et devenu son emblème au fil des concerts, d’une main-porte-téléphone-thérémine, d’une balance-contrôleur ou encore d’un étendoir à linge. Celui qui, dans sa communication s’amuse avec tous les Stéphane(s) de France et prône la légèreté du genre, n’en est pas moins un sérieux créateur et un inventeur forcené. A l’occasion de la sortie de son nouvel EP Drastic, on a voulu prendre de ses nouvelles et savoir comment se portait Billy Gates lors de ce confinement : on s’est bien marrés.
 

Le Bombardier : Où es tu confiné, comment ça se passe pour toi ?

Stéphane : Alors moi je suis à Antibes. Je suis chez mes parents mais mes parents ne sont pas là. C’est cool, je suis avec deux potes et on est bien là.
 

Je t’ai découvert un tout petit peu avant les Trans Musicales de Rennes et je t’ai donc vu là-bas en ouverture de Dombrance. Je connaissais tes noms mais je ne m’attendais pas forcément à l’étendoir à linge, au thérémine, au poisson qui parle, c’était cool ! Pourtant je viens de retrouver une interview dans laquelle tu disais avoir foiré ce concert.

Ah ouais ? Bah peut-être, mais non ça va je pense ! Je m’étais chauffé, j’avais fait plein de trucs, c’était cool !
 

Comment va Billy Gates ?

Il est dans une cave chez un pote à Paris là. Je ne sais pas s’il marche, il prend beaucoup de place. Il est chiant. Il faudrait que je prenne des nouvelles un peu quand même. Il était handicapé à un moment, il n’arrivait plus à bouger la tête ni la bouche donc du coup il ne servait plus à rien. Je l’ai mis de côté et j’ai fait appel à un vétérinaire pour l’aider et on n’a pas trouvé la solution. Donc il est mis en quarantaine, mais depuis genre six mois lui. Rien à voir avec le coronavirus. Je vais essayer de le réparer.
 


 

Tu as d’autres objets dans ce genre qui t’accompagnent désormais ?

Il y a la balance, je ne sais pas si tu l’avais vue. C’était la version bêta à l’époque. C’est une balance, et en gros, le poids d’un objet dessus me permet de contrôler la hauteur d’un son. Je peux contrôler n’importe quoi avec parce que je lui ai dis, et du coup c’est cool parce que je peux mettre une pinte dessus, un verre vide, je me sers de la bière et ça fait une montée comme ça. C’est cool et en plus c’est pratique.

J’ai un nouvel objet là, qui arrive, c’est de loin ma plus grosse création. Ça a été une grosse galère, c’est hyper dur à expliquer. En gros, c’est une boîte, avec plein de boutons et des fidget spinners, tu vois ce truc des années 2010, qui me permettent de contrôler de la reverb quand je mets des coups dessus. J’ai des boutons nucléaires et des clés dessus, un peu comme des clés pour démarrer des voitures. Il faut que je fasse des doubles des clés d’ailleurs, parce que si je perds la seule que j’ai. La clé me permet de d’activer un bouton et de démarrer mon live, l’audio et l’ordinateur. Parce que si je ne l’ai plus, je ne peux plus jouer !

Avec ça, j’ai composé un morceau qui s’appelle “Drastic”. Je ne l’ai pas avec moi parce qu’il est putain de lourd, je t’aurais bien fait une démo. Je suis chaud pour le montrer en vidéo bientôt, mais là parce qu’il y a un virus qui traîne et tout là, je ne peux pas le montrer.
 

Ça t’a annulé des projets ce virus ? Je suis allée voir tes dates, il y en avait quelques unes de prévues.

Ouais, je suis dégoûté. Il y avait le festival Love Letters, je devais aussi faire une masterclass et un concert à Angoulême, j’étais bien chaud pour ça. Pas de nouvelles pour cet été mais je pense que ça va être annulé tout ça, non ? Ce matin j’ai vu un article comme quoi des experts allemands disaient que ça allait être compliqué jusqu’à l’automne 2021. Ça va être dur mais on va trouver d’autres moyens j’en suis sûr.
 

Tu n’as pas fait de lives confinés encore ?

Mais je n’ai rien avec moi là, ça me saoule ! Je ne peux rien faire pour le moment.
 

Sur ton nouvel EP, le morceau que j’ai préféré est “Drastic”, il a une ambiance un peu dark, presque thriller, tu l’as composé différemment des morceaux que tu avais pu faire jusque là ?

J’ai gardé la même recette. Comme je te disais lui il est basé sur mon nouvel outil donc il y a peut être des tricks que je n’avais pas avant et que j’ai utilisés pour celui-là. Notamment les fidget spinners qui activent ce genre de noise au milieu du morceau. C’est kiffant à jouer ça. Je regardais Le Seigneur des Anneaux pendant que j’étais en train de jouer avec ma nouvelle machine et je trouve que ça marche bien avec ce film. Tu sais quand il y a Gandalf qui est sur un pont devant le Balrog et qui dit « Tu ne passeras pas ! » en français, je me suis basé sur cette ambiance. Faudrait demander à Peter Jackson si je peux utiliser les images mais je ne pense pas, peut-être en illégal.
 

Lors de tes études à Dublin tu as suivi un cursus “Media & Technology”, c’est à partir de ce moment là que tu as commencé à créer des objets pour faire de la musique ou tu étais déjà un peu geek avant ?

Depuis tout petit je voulais faire de la musique. Je voulais faire ça toute ma vie et continuer mes études là-dedans mais mes parents n’étaient pas hyper chauds. Du coup ils m’ont dit de faire un cursus pour assurer mes arrières avant, d’ailleurs ils avaient raisons là-dessus, et j’ai un IUT Réseaux et Télécoms, tu vois ce que c’est? J’ai fait ça et je ne comprenais pas trop, j’ai même redoublé. Mais j’avais des cours d’électronique par contre, ça vient un peu de là. Quand j’ai eu mon diplôme mes parents m’ont dit que je pouvais faire ce que je voulais, du coup je suis parti à Dublin et là-bas j’ai eu des cours sur comment faire des genres d’instruments, des contrôleurs en électronique. Ça m’a grave inspiré, j’ai vu qu’il y avait beaucoup de possibilités, je me suis senti tout petit. J’avais jamais en tête de construire des trucs mais il m’a fallu 2-3 ans de digestion de tout ce que j’ai eu comme infos. J’en ai eu un peu marre de faire de la musique sur un ordinateur et je voulais faire quelque chose de mes mains et autant qu’elles soient utiles pour faire de la musique, de toute façon je ne sais faire que ça moi.
 

Dans ta musique, il y a forcément le côté fun mis en avant, tu t’amuses avec tous les Stéphane de France, tu as l’air aussi d’être pédagogue, tu as donné des cours de solfège, tu as commencé à faire des masterclasses, c’est important pour toi de démocratiser la pratique de la musique électronique ?

Carrément, je pense que c’est hyper important de faire ça, c’est ma deuxième passion. J’ai envie de partager ce que je trouve. Donc dès que je vais geeker et trouver des trucs intéressants, j’ai le besoin de le partager avec quelqu’un. Du coup je me suis chauffé, j’ai donné des cours particuliers. Quand j’ai commencé Ouai Stéphane ça a bien marché, il y a eu pas mal de concerts et j’ai un peu mis de côté les cours particuliers mais on m’a demandé d’animer des masterclasses sur la production électronique et la M.A.O en général et c’était hyper logique pour moi de le faire. Il y a un milliard de tutos sur Internet qui sont plus ou moins biens selon les sujets et je pense qu’il faut aider encore plus les jeunes et les vieux producteurs, peu importe, à s’ouvrir. Juste montrer les possibilités. C’est très centré sur un axe, on parle beaucoup du logiciel Ableton comme étant le centre mais on peut construire des contrôleurs qui permettent de sortir du logiciel et de créer aussi ses propres machines. On n’est pas obligés d’acheter une machine pour faire de la musique, on peut la construire. Je ressens le besoin de montrer ça aux gens.

Ça fait 50 ans au moins que ces possibilités existent et ça n’a toujours pas été démocratisé, ça reste un gros nuage obscur pour beaucoup de personnes.

On ne sait pas trop faire la différence dans la musique électronique entre un DJ-set, un live, un producteur, un ingénieur du son, un topliner, il y a plein de différents métiers là-dedans et je pense qu’il faut vraiment élargir les connaissances là-dessus et tout partager.
 


 

Il y a des gens avec qui tu aimerais travailler à l’avenir ? Je sais que tu es assez fan de Soulwax, ça nous fait un point commun !

Ah ouais je les aime bien, j’aimerais bien travailler avec eux tiens ! J’aimerais bien que les Vengaboys se reforment aussi et bosser avec eux. J’aimerais bien que Pierre Henry soit toujours vivant, mais ça c’est mort.
 

L’hologramme de Pierre Henry ?

Ouais, franchement ce serait cool ça, avec des messages pré-enregistrés ! J’aimerais bien également travailler avec un groupe de rock et les mélanger avec de la musique électronique, par exemple les Red Hot Chili Peppers mais je ne pense pas qu’ils répondront à mon e-mail. Tu as leur adresse ? Je demande au cas où. J’aime beaucoup Jackson And His Computerband. Il fait des trucs de malade et je ne comprends toujours pas comment. Même pas forcément collaborer avec lui mais échanger sur son approche.
 

Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?

Juste avant que tu m’appelles, j’étais en train d’écouter “Eple” de Röyksopp, c’est trop catchy. J’ai réécouté Simian Mobile Disco que j’avais un peu oublié. Tout à l’heure j’ai découvert un artiste qui s’appelle Tghohn qui fait genre de la jungle mi-acoustique mi-électronique, c’est le bordel mais j’ai kiffé. Et le nouvel album d’Against All Logic, le projet de Nicolas Jaar qui est trop bien. J’ai écouté les Winston Surfshirt, rien à voir, mais j’aime bien leur album. Je réécoutais ce que faisaient les Moïse Turiser, ce sont des potos en plus. En ambiant, Alessandro Cortini, son album de 2017, Avanti.
 

J’imagine que tu n’as pas de boule de cristal pour voir dans l’avenir mais outre la sortie de ton EP ce vendredi, est-ce que tu as des projets pour l’avenir ?

J’ai plein de trucs, franchement je ne me suis pas trop arrêté. Je suis en train de composer vraiment beaucoup de nouveaux morceaux. Je suis en train de bosser sur un autre EP, et encore un autre EP, et un troisième aussi.
 

Et du coup, l’idée de faire un album ne t’es pas passé par la tête encore ?

Bah ouais je commence à y réfléchir parce que je commence à avoir pas mal de morceaux et au lieu de faire un milliard d’EPs c’est peut-être plus pratique de faire des albums. Mais t’as vu que je galère entre les mots “EPs” et “albums” depuis le début de notre conversation ! Je pense que l’année prochaine j’aurai un album, mais en tout cas les prochains EPs sont pour bientôt !
 

Son nouvel EP Drastic est disponible ici via Global Warming Records.