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Christine : “J’ai envie de sonorités plus amples et porteuses d’émotions”

On voulait faire le pari de (re)présenter Christine sans évoquer John Carpenter, Carpenter Brut, la French Touch et les films gore des années 80 : autant admettre que c’est raté. Une fois ce name-dropping effectué, il est bon d’aller au coeur du sujet : Christine est de retour avec pour unique passager son fondateur initial, Nicolas Lerille, producteur rouennais et big boss du label Mouton Noir Records.

Avec ce deuxième album intitulé Echoes From Dawn, c’est avant tout une continuité qui se dessine. Si l’on peut lui reconnaître des couleurs plus froides et une ambiance résolument plus solennelle, voire mystique – comparé à son grand frère Atom From Heart paru en 2017 – il y est toujours question de synthwave angoissée sur fond d’images cinématographiques et brumeuses. Des morceaux comme “Fallen Hopes” et “Echoes From Dawn” démontrent en tout cas que Nicolas Lerille n’a besoin de personne en Harley Davidson pour se sentir à l’aise à bord de sa Plymouth possédée. Il n’empêche qu’il a laissé une place de choix à divers featurings avec Le Spectre, Plaisirs ou Zadig pour ne citer qu’eux. On a rencontré Christine pour lui poser quelques questions à propos de ce nouveau virage en solo.
 


 

Le Bombardier : Est-ce que le fait de défendre Christine seul a changé ta vision de ce projet?

Nicolas Lerille : Quelque part oui. C’est un projet qui a toujours été en duo dont je suis le créateur et le principal impliqué. J’ai toujours aimé le confort d’être à deux, sur la route, pour réfléchir, brainstormer, travailler les différents aspects artistiques du projet. Et finalement depuis quelques mois je me suis accaparé mon projet. J’ai peut-être mûri aussi. Même sur scène, je me sens presque mieux tout seul. Il me manque juste un copain pour tourner mais j’ai Hélène maintenant, mon ingé light! Ça permet aussi d’intégrer réellement une personne à la technique, ce qui n’est pas toujours facile lorsqu’il y a plusieurs cachets à faire. Avec deux cachets, on arrive tout de même à vendre le show suffisamment bien pour payer les frais annexes.
 

En terme de composition, tu as fait des collaborations sur ce deuxième album, est-ce qu’elles étaient totalement indispensables pour toi ou tu aurais pu le composer tout seul?

Je pense que c’était quand même indispensable. On peut faire des morceaux et un album tout seul. Un album, c’est un travail qui est tellement intense et prenant que le faire tout seul m’a permis de choisir les gens avec qui je voulais travailler et avec qui j’avais des feelings personnels. J’aime bien ce concept et je pense le continuer.
 

Ça te permet aussi de mettre en lumière certains artistes un peu moins connus?

Oui, qui méritent d’être davantage découverts, notamment Le Spectre qui est génial. Les machines pour lui, c’est légion. Museau aussi, qui est une artiste de Rouen qui débute et avec qui je m’entends super bien. Avec elle c’est toujours un peu déconnant et elle me pousse toujours à faire des trucs pas très sérieux. A chaque fois, il y a une énergie qui est différente et ça permet de mélanger les styles. Par exemple avec Zadig qui est un artiste avec qui je partage mon studio depuis trois ans : on se côtoie, on s’apprécie beaucoup alors qu’on est dans deux univers relativement différents. Il est très techno berlinoise. On a un peu mélangé nos univers pour faire notre collaboration et on est très contents du résultat.
 

Il y a des collabs qui n’ont pas pu se faire?

Oui notamment avec Brook Line, un artiste avec lequel je bosse beaucoup. Il a un début de carrière assez sympa. Je le développe sur mon label depuis trois ans. Je pense qu’on a tellement bossé ensemble sur son projet, que quand on a switché sur le mien, on a eu du mal à trouver nos marques. On a fait plusieurs morceaux mais au final il y en a eu aucun où l’on était pleinement satisfait. Donc c’est partie remise, il y en aura d’autres. Il y a un artiste avec qui ça ne s’est pas fait aussi, The Toxic Avenger, par manque de temps. Puis il a fallu faire des choix. Je n’aime pas beaucoup les albums de 20 titres, je trouve que ça ne sert à rien.
 

Ton label donne l’impression d’une petite coopérative où tout le monde s’entraide, et avec une forte identité sonore.

L’idée c’est effectivement de créer un projet collaboratif, une petite coopérative comme tu dis. C’est aussi une dynamique qu’on essaie de créer à Rouen parce que je trouve qu’il y en a besoin. C’est une chose qui m’a manquée en début de carrière, de pouvoir côtoyer des gens un peu plus expérimentés et de différents styles. C’est vraiment ce que j’essaie de créer.
 

Si tu ne devais choisir qu’un morceau dans cet album?

Finalement, j’aime bien les morceaux que j’ai composés en solo comme “Fallen Hopes” dont le clip est sorti il y a trois jours. C’est l’ouverture de l’album. J’aime beaucoup “Echoes From Dawn” qui n’est pas très facile à aborder mais je me suis vraiment éclaté, je suis parti un peu ailleurs et j’ai essayé plein de choses, des synthés que je n’avais pas vraiment utilisés avec un style de production un peu plus sage.

J’ai produit beaucoup d’électro qui tabasse et là je vieillis un peu. J’ai envie de sonorités plus amples. Peut-être moins puissantes mais porteuses d’émotions.

 

Est-ce que tu n’as pas peur de te répéter en terme de style?

Avec le premier album, Atom From Heart sorti il y a deux ans, j’ai initié une sorte de tryptique. Effectivement, ça reste un peu dans le même style. Du coup mon troisième album sera peut-être pareil pour certains, mais pour moi, c’est une continuité. C’est une espèce d’histoire un peu longue que j’ai envie de raconter et qui pour moi, prend sens en live. Là j’ai encore des morceaux qui me manquent, des morceaux un peu middle-bpm. D’ailleurs sur ce nouvel album, j’ai moins fait de morceaux excités en terme de BPM. Et je me dis que sur le troisième il va falloir que je me relâche un peu pour refaire des trucs un peu plus vénères. Du coup, il y aura une histoire qui va se passer sur six ans vu que j’essaie de sortir un album tous les deux ans. Et ensuite je verrai, peut-être que je ferai de la folk !
 


 

J’ai lu qu’avec cet album tu n’avais pas initié de démarche commerciale. Ça m’a fait rebondir sur notre précédente interview dans laquelle nous avions parlé de consommation de la musique de manière très rapide et furtive.

C’est vrai que l’entourage professionnel comme les labels ou les éditeurs engreinent toujours les musiciens à faire des singles, des morceaux qui potentiellement pourraient passer en radio. Alors forcément ce sont des morceaux chantés. J’ai essayé de faire ça, et puis ça n’a pas vraiment marché. Je n’ai jamais fait de tube interplanétaire même si le morceau “Drama” a bien marché. C’était un peu l’idée avec ce titre. Pour cet album, je me suis dit que je m’en foutais. Ça ne change pas beaucoup la donne sur ma vie et sur mon projet. Je ne veux pas essayer de caler un morceau sur Virgin ou autre, je veux juste faire ce que j’ai envie.

Les morceaux chantés n’ont jamais été mon objectif ultime, j’aime beaucoup la musique instrumentale.

Avec Echoes From Dawn, c’est vrai qu’il n’y a aucune prétention commerciale et finalement je ne le vis pas plus mal. J’ai même l’impression qu’il est mieux reçu que celui d’avant. C’est plus naturel.
 

Tu pars en Indonésie bientôt ?

Oui, dans une dizaine de jours. J’ai été faire un petit saut en Thaïlande en décembre dernier. J’ai fini l’album le 6 décembre 2018 à 5h30 et je suis parti à 5h45 avec ma copine pour prendre l’avion. Je n’avais pas dormi depuis une semaine.

Je me suis calé dans la voiture et je me suis réveillé en Thaïlande!

Je voulais défricher un peu, j’avais pris en amont quelques contacts avec des programmateurs et des promoteurs. On m’a fait jouer dans un petit club. Je n’y serai pas allé que pour ça parce que vu le budget ça aurait été compliqué; Ça m’a mis un pied dans l’étrier et ça m’a donné l’opportunité de rencontrer quelques personnes avec qui on a mis en place cette tournée. Alors pas en Thaïlande mais en Indonésie et en Malaisie. La Thaïlande, ce sera peut-être pour un gros festival en décembre. J’ai trouvé un tourneur sur place qui bosse le projet actuellement. J’espère bien que ça va prendre.
 

On avait également parlé des États-Unis dans notre précédente interview à propos de ton premier album, qu’est-ce que ça a donné?

Pas grand chose. Ça n’a pas pris autant que je voulais. J’ai signé Atom From Heart en licence chez Uprise qui est un gros label américain à New York. Ils ont plus exploité ma musique qu’autre chose. Ils m’ont rajouté au catalogue quoi. Après, les États-Unis c’est assez compliqué. C’est un monde complètement différent où tu as intérêt à aller sur place. Il faut être là, dire ce que tu fais, et là on te donne éventuellement ta chance. Il faudrait que je fasse comme avec la Thaïlande, que j’y aille vraiment quelques semaines pour peut-être déclencher les choses. Ensuite l’aspect financier est compliqué aux États-Unis, le visa de travail est très chiant. Tu dois tout organiser en amont et il faut rentabiliser la tournée. J’ai des potes qui se sont fait interdire l’accès au territoire pendant cinq ans parce qu’ils n’avaient pas le bon visa.
 

Qu’est-ce que tu écoutes en ce moment?

Peu de révélations, beaucoup de déceptions. J’ai bien aimé le dernier Modeselektor. J’ai été hyper déçu par le dernier Gesaffelstein, c’est presque du foutage de gueule. J’attends le nouveau Tame Impala. J’ai trouvé pas mal le projet mixtape de Flume et le nouvel album d’Apparat aussi. On voit que globalement, cette démarche de DIY, “je sors un peu du circuit major et je ne cherche pas forcément à faire un album mainstream et commercial en proposant un vrai projet artistique” prend de l’essor. On convaincra pas encore une fois les foules donc autant convaincre de vrais amateurs de musique.
 

Echoes From Dawn est disponible via Mouton Noir Records.

Vers toutes les plateformes

Christine en concert :
17 mai : Pop-Rock Festival (Bihorel – 76)
18 mai : Rock Mon Fort #5 (Montfort-sur-Risle – 27)
8 juin : Festival CSALP (Grossoeuvre – 27)
21 juin : Fête de la musique (Caen – 14)
29 juin : Potager Electronique (Tour – 37)
4 juillet : Terrasse du Jeudi (Rouen – 76)
2 août : La Sardine (Orleans – 45)
23 septembre : A38 (Budapest – Hongrie)
29 octobre : Le Grand Marais (Riorges – 42)
9 novembre : Le Réacteur (Issy Les Moulineaux – 92)
30 novembre : Rocksane (Bergerac – 24)