À côté de majors qui occupent une large partie du terrain, les labels indépendants se démènent pour faire vivre des projets à taille humaine, bien souvent à contre-sens de tout objectif commercial et lucratif. À la tête de ces projets, on retrouve des guerriers multi-fonctions aux méthodes et profils divers et variés. Aujourd’hui, on part à la conquête du Grand Est à la rencontre d’October Tone, label avec qui nous entretenons une idylle particulière depuis plusieurs années.
On se souvient même les avoir rencontrés dans l’ancien monde – à l’époque où l’on pouvait encore se claquer la bise – au festival Bars en Trans, à Rennes bien sûr : ils défendaient leurs poulains d’Amor Blitz, dont l’album “Ta jalousie est un drone” demeure un manifeste exhaustif du label strasbourgeois. Depuis, chaque sortie n’a été qu’une agréable surprise : de BBCC à l’univers excentrique et salvateur (à découvrir de suite), originairement Bang Bang Cock Cock – soit le meilleur nom de groupe au monde -, à Hermetic Delight, groupe formé avec quelques uns des membres du label, en passant par T/O, Fun Fun Funeral, Victime ou encore Pauwels.
Depuis bientôt 10 ans, October Tone sont de fervents défenseurs de groupes libres, qui ne se gênent absolument pas pour défoncer les barrières de genres ou les étiquettes un peu trop simplistes qu’on voudrait leur coller. Bien sûr, le rock dans ses déclinaisons les plus diverses est à l’honneur dans leur répertoire, mais on y trouve également de la pop, du punk et même de l’électronique. La preuve d’ailleurs avec La Houle qui vient de dévoiler “Toi (Ce Moi)”, le premier single poétique et acidulé de son nouvel album “La Chute”, à paraître cet automne.
Pouvez-vous vous présenter ?
Florence & Atef, coucou ça va ?
Atef est là depuis les débuts d’October Tone (2012) à l’heure où cela était un petit collectif de groupes (Hermetic Delight, Pauwels, 100%chevalier, Amor Blitz) qui se disaient que c’était quand même mieux de faire les choses ensemble entre copains parce que visiblement personne ne voulait les faire à leur place.
Et Florence, qui est arrivée fin 2014 mais qui avait eu un avant-goût avant de débarquer à Strasbourg dans la mesure où elle a sauté dans pas mal de vans en tournée… Puis qui a organisé des concerts, puis a commencé à s’intéresser à peu près à tout.
Il y a aussi du monde qui gravite autour du label pour faire tourner le schmilblick : Coralie, Samuel et Marjorie depuis quelques années maintenant, et Bob depuis le début comme Atef, ainsi que tous les bénévoles concerts (beaucoup) à qui on pense fort.
Pourquoi et comment avoir choisi ce nom de label ?
Hermetic Delight avait hésité à s’appeler October Tone au début. Ça a été recyclé en nom d’asso de groupe. Et puis comme c’était le seul à avoir une structure juridique au moment où le collectif s’est formé, c’est devenu le nom de l’ensemble. En toute simplicité.
Que défendez-vous sur votre label ?
On a écrit sur nous “qu’un de ces jours, leur bonté les perdra” (bisous Kiblind) et on pense sincèrement que derrière notre côté un peu sombre, ça nous déplait pas tant de vivre. Des ”Vampires Hippies” (paroles rapportées en festival, non contractuelles.)
Ce qu’on aime et défend, c’est une certaine émulation dans la scène qu’on s’est constituée (à Strasbourg mais pas que.) On est sensibles à la pureté des propositions artistiques plutôt qu’à une chapelle esthétique. On fait les choses avec les artistes plutôt que pour les artistes et on met un point d’honneur à respecter leur vision, leur rythme, leur scène. On milite pour sortir des albums qu’on souhaite durables ; on est pas trop fans de la course à la nouveauté à tout prix – sous peine de manquer le coche -, de ce qui se fait dans l’air du temps (même c’est ok d’aimer l’autotune.)
Quels morceaux résument au mieux la politique de votre label ? (trois au choix)
C’est dur :
BBCC – “Human Capital” :
Hermetic Delight – “Rockstarları” :
La dernière proposition compte double si les titres portent des noms d’animaux en raison de l’adoption en première lecture à l’Assemblée Nationale de la loi contre la maltraitance animale (c’est pas encore ça mais c’est un début) ?
Accou – “Lion” :
Partout Partout – “Dauphins” :
Votre plus gros succès jusqu’ici ?
Ominous Signs de T/O, on n’hésite pas trop.
C’était le premier artiste arrivé sur le label qui ne faisait pas partie des groupes fondateurs, comme quoi c’est possible.
On a sorti son premier EP, il y eu une curiosité et un environnement propices autour de lui qui nous a fait nous lancer dans la production et la distribution de l’album qui a suivi… Trucs qu’on ne connaissait pas du tout et qui ont roulé au point de nous étonner.
On est heureux qu’un disque aussi fou, aussi fort ait reçu l’accueil qu’il méritait et d’avoir pu travailler avec des artistes tout aussi barrés (le clip d’”A Dog in the Sleeve” par Vinyl Williams en est un bon exemple)
Quelle est votre journée type ?
Il n’y en a jamais eu. Soit on prend le temps de se poser et de réfléchir de là où on va et de comment on le fait (même si on sait d’avance qu’on sera très probablement à la bourre), soit on éteint 15 incendies en même temps…
Après, on se réunit minimum une fois toutes les semaines pour avancer collectivement sur les projets du label et une fois par mois pour parler de toutes les autres activités d’OT (concerts ahah, booking ahaha, résidence, fonctionnement, etc.) Sinon chacun travaille librement quand il veut, où il veut sur des rôles qui nous sont attribués et au-delà (souvent).
Indépendant, underground, DIY : même bateau ou pas ? Ça veut encore dire quelque chose pour vous ?
On s’est toujours sentis entre deux feux : on a des groupes très underground qui ne sont pas très chauds d’entendre parler du reste du monde et d’autres qui veulent prendre tout ce qu’il y a de bon à prendre partout. On comprend les deux points de vue et donc, de l’extérieur, on a tendance à ne pas trop savoir nous catégoriser : soit on se retrouve à être la baby-major des uns ou l’indé-bricolo des autres.
C’est pas toujours la marrade mais on essaie de voir le bon là-dedans : essayer de faire le pont entre ces clans sempiternellement opposés. On trouve dommage de mettre définitivement la musique indé (qui peut devenir – spoiler alert – le nouveau mainstream une fois vulgairement récupérée) dans un trou invisible sinon aux personnes qui la font vivre.
Le DIY a l’air d’être une bonne lessive “à l’ancienne” utilisée tous azimuts qui confère à tout produit ultra marketé ce beau halo de pureté… Au point où on n’ose plus utiliser le terme qui s’est usé, blêmi, vidé.
Je crois qu’on n’a juste pas le goût du business et les dents longues qui vont avec… Si le DIY est le nouveau nom cool de l’entreprenariat individuel sauvage qui te promet la liberté (sans libre arbitre) et le succès (sans garantie et surtout sans longue vue), va falloir renouveler le vocabulaire d’urgence.
On vous recommande d’ailleurs le très bon papier du Gospel sur ladite “uberisation du DIY”.
Comment signer sur votre label ? Vous acceptez les pots-de-vin ?
La première manière efficace est d’être invité à jouer chez nous via notre programmation de concert ou festival et de voir nos yeux clignoter….avec pas mal de groupes cela a commencé par ça, le live c’est important pour nous.
La seconde étant d’être des musiciens d’October Tone et de créer une sorte de groupe MEGAZORD. On a eu le cas avec Partout Partout (Pauwels + 100% chevalier), IPPON (avec un membre de T/O)…
Plus sérieusement, on fonctionne beaucoup à la rencontre et qui plus est aux affinités électives. On est tout à fait accessibles, c’est juste qu’on a besoin d’avoir des trucs à partager ensemble.
Sinon vous pouvez toujours nous écrire, on répond à toutes les propositions qui ne sont pas totalement à côté de la plaque, et puis c’est une bonne façon de faire connaître votre projet… Mais on doit avouer que le démarchage en mode VRP, c’est peu concluant avec nous.
Donc est-ce qu’on accepte les pots-de-vin ? Faut demander à Simon de La Houle avec qui on a descendu beaucoup de bulles lors de notre rencontre aux Bars en Trans (sauf que c’est même pas lui qui les a payées.)
Le futur de la musique, c’est quoi, quand et où ?
Atef : Un type qui bosse dans le département innovation d’une major internationale m’a raconté un truc terrifiant, lors d’une after du concert de Crocodiles à Londres (avec qui je joue quand ils sont de passage en Europe et Asie), que le futur de la musique serait “fanless”, en d’autres termes que les fans ne seront plus nécessaires à la carrière d’un artiste. Et qu’en gros, les algorithmes allaient supplanter la curation… Je pense qu’il a raison dans le sens où ces baleines de l’industrie consacrent leur temps et leur énergie à œuvrer dans ce sens. Mais surtout, je pense que plus que jamais, prêter son attention et soutenir un artiste sera un acte résistant et ça, ce n’est pas pour me déplaire.
Flo : Je suis récemment passée à une plateforme de streaming qui rémunère mieux les artistes qui a un meilleur son mais qui a un algorithme tout nul…et je lui rends grâce. Pour le coup je fais la démarche active d’aller découvrir de nouveaux groupes, de LIRE des critiques. Je rejoins Atef sur le fait qu’on risque de perdre de vue pourquoi et comment on écoute la musique qu’on écoute… Je crois beaucoup à la continuation du développement de niches musicales, de labels qui tenteraient avec humanité de casser le game.
Un artiste (vivant ou non) ou un album que vous auriez aimé sortir ?
Alors puisqu’on ne peut qu’en mettre qu’un (on ne va pas abuser, on a déjà cramé un joker), on va aller au plus récent…
On est obsédés dernièrement par le dernier Oneohtrix Point Never (intitulé Magic Oneohtrix Point Never)… Le son, les clips (“Lost but Never Alone“), l’univers graphique… Tout y est. Faut dire, WARP généralement, c’est pas dégueulasse !
Ça peut paraître surprenant car on nous associe souvent à une vague “rock” pour le dire vite mais on aime et on sort aussi des artistes dans une veine plus “électronique” (Accou, S T Ø J, KEVIN DIESEL, ou même BBCC et Pauwels qui s’y met)
Votre dernière/prochaine sortie ?
On en a deux qui se chevauchent : G H S T de KEVIN DIESEL, le premier EP électro expé de Florian Borojevic (100%Chevalier, Partout Partout mais aussi l’un des fondateurs d’October Tone) qui nous tient particulièrement à cœur et qui sortira en mars. Puis La Chute, album de La Houle, notre “Daniel Darc qui rencontre Marc Seberg” à nous qu’on commence à dévoiler à partir de février mais qui sortira la rentrée prochaine.
Retrouvez tout l’univers d’October Tone ici.
La Chute de La Houle paraîtra à l’automne prochain via October Tone et Music from The Masses.