En Quêtes

En Quêtes #5 : Côme Ranjard

Photo : Arthur Albaz

La principale caractéristique de l’homme de masse n’est pas la brutalité ou le retard mental, mais l’isolement et le manque de rapports sociaux normaux. – Hannah Arendt

La poésie comme matériau de construction. A la première écoute de L’enfant casanier, le nouvel EP de Côme Ranjard, on pourrait se laisser désabuser par ses apparences trompeuses de crooner parisien pour finalement se faire cueillir par la subtilité de ses textes et compositions. Derrière une simplicité de façade, se cache en réalité le haut potentiel de son univers sémantique et sonore, nous prenant par la main vers ses lieux de prédilection. L’eau est l’un des éléments les plus représentés au sein de ses morceaux : loin d’être un hasard quand on sait que Côme Ranjard a composé les textes d'”Hippocampe” lorsqu’il était gardien de l’exposition à Beaubourg de David Hockney, plus précisément dans la pièce où étaient présentés ses tableaux de piscines.

Parce que le chanteur pose effectivement une question universelle et (bien trop) dans l’air du temps : comment remonter à la surface de notre “moi” intérieur, quand tout nous pousse à rester dans le confort de notre isolement? On conviendra que ces slows pop et cérébraux, transpirant à chaque minute du raffinement des accents jazz et cuivrés (les musiciens qui l’accompagnent sont tous issus du conservatoire), sont autant de bonnes raisons de plonger dans le bain avec lui. On lui a posé quelques unes de nos questions existentielles pour voir un peu plus clair sous l’eau.
 


 

Qu’aimerais-tu apporter comme questionnement(s) au travers de tes créations ?

Je ne suis pas certain de vouloir apporter un questionnement, ni une réponse d’ailleurs. J’aimerais simplement apporter l’humble vision d’un dé-zoom sur notre univers, de l’intime à l’universel et du réel à l’imaginaire. J’aime rester assez flou et laisser l’auditeur libre : la plupart des choses de la vie me semblent énigmatiques et la création en elle-même m’apparaît comme un grand et beau questionnement.
 

Qu’aimerais-tu voir évoluer dans notre société, dans le regard qu’elle porte à notre monde ?

J’ai l’impression de vivre dans une époque qui veut fuser à tout prix, qui ne dort pas et qui est totalement névrosée. C’est un peu naïf, mais j’aimerais voir la nature prendre plus de place et la lucrativité moins, que l’on revoit la hiérarchie de ce qui a de la valeur pour que le monde tourne rond.
 

Pourquoi l’évasion que procure la musique, et l’art de manière générale, est essentielle selon toi ?

J’aime la musique pour ce qu’elle a en commun avec le cinéma : quand elle est bonne, j’oublie mes repères spatio-temporels et je suis porté par une émotion pure et dure. La musique et l’art en général ont le pouvoir de nous mettre en phase avec nos sens, de nous prendre là, simplement dans l’instant, émus, heureux, ou même heureux d’être émus (ça c’est l’extase). En ce sens, cette évasion est aussi essentielle que l’oxygène.
 

Qui t’inspire par ses valeurs, sa voix ?

Philippe Katerine par sa tendresse, sa violence, son honnêteté, son humour. Il me paraît si vrai.

Haruomi Hosono pour tout ce qu’il a essayé, je ne comprends pas un mot de ce qu’il chante mais il m’attrape, pareil pour certains albums de Caetano Veloso. Bertrand Belin pour la liberté d’interprétation qui réside dans ses textes, quelque part je m’y retrouve.

Les dessins animés de Hayao Miyazaki m’inspirent depuis que je suis petit.
 

De quoi es-tu en quête ?

De l’instant présent, sans cesse.
 

Quel est ton geste engagé au quotidien ?

Toujours regarder les gens dans les yeux, ça m’a l’air engagé car en le faisant, je vois que ce n’est pas évident pour tout le monde.

Ne jamais ignorer les laissés pour compte.
 

On te laisse clôturer cet entretien par une citation et un morceau qui pour toi reflètent ce que l’on a évoqué jusque-là.

Le savoir, quand il théorise

Qu’il terrorise

N’est qu’une forme de prison

Cherchons avant qu’elle nous arrive

Sur l’autre rive

La déraison.

Pierre Barouh, “L’autre Rive
 

Son nouvel EP L’enfant casanier est disponible ici.