Depuis 2003, Sonic Protest oeuvre au service des musiques expérimentales et pointues avec pour mission de les rendre plus accessibles et conviviales. Pour cette seizième édition, le festival promet des moments hauts en couleurs, découvertes et autres voyages sonores avec pas moins d’une cinquantaine de concerts répartis en douze soirées à Paris, pourtour et en province, pour les jeunes curieux et les moins jeunes. Plutôt que de faire du name-droping de têtes d’affiches qui n’en sont pas tout à fait, on a interviewé les programmateurs et heureux parents du festival, Franq De Quengo et Arnaud Rivère, pour recueillir leurs intentions et motivations ainsi que quelques conseils de dernière minute.
Comment allez-vous à quelques jours du lancement du festival ?
Arnaud Rivère : C’est la seizième fois que ça commence donc ça ne nous met pas tant la rate au court-bouillon que ça, si ce n’est que ça nous excite encore. C’est une bonne nouvelle, maintenant on a un peu moins de stress mais on n’a pas moins de plaisir.
Comment vous présenteriez le festival dans ses grandes lignes à quelqu’un qui ne connaît pas du tout Sonic Protest ?
Franq De Quengo : C’est un festival de musique. Ça va être difficile de définir la musique mais disons que c’est de la musique qu’on n’entend pas forcément ailleurs. Au départ, on part de musiques expérimentales mais on a vachement ouvert notre programmation. C’est un festival qui est itinérant, qui dure plusieurs semaines et week-ends. Cette année, l’édition dure trois semaines. Itinérant, parce que le festival passe par des lieux différents à Paris et en région parisienne. Il y a aussi toute une partie en région et dans certaines villes européennes.
Arnaud : L’idée qui nous anime depuis le début, c’est de présenter des musiques qui sont un peu réservées. Nous, on est des afficionados de musiques expérimentales. Ces musiques sont parfois un peu pointues et nous passionnent. On s’est aperçus en concerts qu’on était toujours un peu tous entre nous. C’est bien, c’est sympathique, on se connaît tous à peu près dans la salle mais nous en tant que diffuseurs, ça ne nous intéresse pas trop que cette musique reste entre nous. Nous déplaît aussi l’idée qu’on puisse catégoriser en général les formes musicales. A l’endroit où on est dans ce grand bain des musiques expérimentales, il y a aussi une transition entre les musiques qui seraient qualifiées de savantes et les musiques plus populaires.
Sonic Protest, c’est un trait d’union entre toutes ces formes.
On essaie de dire au public qu’on n’est pas obligé d’être qualifié en musicologie pour venir. Ces musiques-là s’écoutent comme les autres. Quand on regarde les jauges qu’on arrive à accueillir actuellement pendant le festival, on voit qu’il y a une envie de partager très librement ces formes d’expression. Plus que le côté expérimental, on insiste aujourd’hui sur le côté singulier. Alors c’est une connerie parce que maintenant tout le monde le dit évidemment : personne ne va te dire “Je fais de la musique comme les autres”. Malgré tout, il y a des moments où c’est un peu plus véridique que d’autres. Au regard des gens qu’on invite, la singularité ne me semble pas exagérée. Souvent, on programme des artistes qui ont des parcours assez indépendants, des gens qui ne sont pas forcément des pros. Sur un festival de cette taille-là en tout cas, ça existe, la pratique artistique n’est pas toujours corrélée avec un statut professionnel.
Franq : Sans même parler de professionnalisme, notre démarche première est d’aller chercher des artistes qu’on a envie de voir sur scène. On n’attend pas forcément qu’ils soient organisés avec des tourneurs qui proposent leur package tous les ans. On va chercher des gens en Finlande, en Chine. On est aussi très attentifs à ce qui se passe autour de nous, ici en France. On mélange tout ça et on organise des soirées qu’on a envie de voir nous-mêmes en tant que spectateurs.
Est-ce que vous montez votre programmation en ciblant un certain public, certaines personnes ou ne vous vous occupez pas de cet aspect là ?
Arnaud : Évidemment, tout n’est pas qu’amour et eau fraîche, on réfléchit à comment on veut en parler au public. Il n’y a rien de pire que des soirées sans public, sans parler de faire faillite ou pas, il est surtout question de toute l’énergie investie par l’équipe de Sonic Protest. Quand tu fais une soirée qui ne marche qu’à moitié parce qu’il n’y a pas assez de monde, ça démotive et ça fait mal à toute la générosité qui a été envoyée. On fait des efforts pour ne pas être dans l’entre-soi, ça demande donc au jour le jour de s’adresser à des personnes qui ne nous connaissent pas. Et c’est surtout ça qui nous intéresse. L’effort du festival, c’est de se dire que c’est pour tout le monde, on est dans la démocratisation de base. C’est un trésor qu’on essaie de partager au plus grand nombre.
Franq : On essaie d’être ouverts au plus de monde possible tout en gardant une exigence, une intégrité. On ne va pas faire de concession pour plaire au plus grand nombre. On essaie de garder un juste milieu.
Arnaud : Nos jauges ne sont pas gigantesques pour nous et pour le type de musiques qu’on défend. Ce n’est pas si souvent que ça que des concerts se jouent entre 600 et 800 personnes à guichet fermé, ça arrive à Sonic Protest. Ce n’est pas un festival où il faut mettre 4000 personnes devant la Mainstage.
Franq : Il faut que ça reste humain.
Comment vous présenteriez dans ses grandes lignes la programmation de cette édition à venir ?
Arnaud : Ludique, loufoque. On aime bien l’idée de panorama. Dans les éditions précédentes on était arrivés à un moment où on se requestionnait par rapport à ce qu’on avait envie de faire. Il y a un coté exponentiel à Sonic Protest. Il y a eu une croissance du festival et de l’association qui va avec alors qu’au départ c’était juste un projet qui nous faisait marrer. Un festival qui dure trois semaines, ce n’est pas si courant que ça. C’est ce qu’on a fabriqué, bien qu’à un moment on s’est rendus compte lors des dernières éditions que cette croissance nous avait coûté quelques points de vie. Tout ce qui n’est pas financé par ailleurs c’est fait avec du bénévolat et entre autres, le notre. Ce n’est que depuis récemment qu’on est à peu près payés pour une partie de notre travail, ça reste un investissement conséquent.
Cette édition de 2020 nous permet de proposer un festival très large. On a bien vu que pour une partie de public, ils connaissent peut-être trois noms sur la programmation de Sonic Protest mais ils savent qu’ils vont en découvrir quinze autres. Il y a un côté collection et pas un enchaînement de soirées. Il y a quelques personnes qui viennent à toutes les soirées, qui prennent des vacances pour venir à Sonic Protest ! Et ils reviennent l’année d’après ! Il y a tout de même un fil conducteur autour de ces soirées, autour d’un même thème, qui permet d’en prendre plein les oreilles et plein les yeux.
Franq : Ce qui est important, c’est qu’ils savent que quand ils vont venir à Sonic Protest ça va être un peu différent, au niveau de l’ambiance et des gens. On a beaucoup de bénévoles qui travaillent sur le festival et qui sont très motivés. Les gens sont contents de travailler ensemble, ce qui est de plus en plus difficile à trouver dans d’autres endroits à Paris. Il y a aussi la politique des prix sur laquelle on passe du temps. Il y a des événements gratuits, des tarifs réduits. On passe tous les ans beaucoup de temps à faire en sorte que les soirées soient accessibles. On fait des partenariats avec le CROUS pour les étudiants, on travaille aussi avec une association qui s’appelle Culture du cœur qui permet de donner des invitations à des personnes qui sont totalement exclues du monde du spectacle. On est très attentifs à ces questions.
Chapeau, vous êtes n’êtes pas beaucoup parmi les programmateurs à aborder ces sujets.
Arnaud : Depuis 2011, en plus de notre action de diffusion, il y a aussi un volet d’action culturelle avec pas mal d’ateliers qui est principalement dédié à des publics spécifiques : des élèves d’écoles, des étudiants en art et un important volet en direction des handicapés mentaux sur lequel on reviendra après. Cette année, on fait enfin des ateliers ouverts à tous. Il y en aura un à la BPI de Pompidou, un atelier gratos pour venir graver des vinyles et un autre atelier à l’Echangeur de fabrication d’équipements électroniques pour faire le zinzin. Tout ça, c’est un tout petit bout de l’iceberg qui est porté depuis 2011 principalement par Franq autour de ce travail du handicap et de la création sonore. C’est aussi dans les choses très constitutives du Sonic Protest, c’est la quatrième année que le festival commence par deux jours de rencontres autour des pratiques brutes de la musique. Quand tu parles de sujets qui ne sont pas abordés par d’autres festivals, je pense que cet aspect fait forcément partie de l’identité et de la spécificité de notre travail.
Franq : En 2011 par exemple on avait des liens privilégiés avec le lycée autogéré de Paris. Plutôt que de programmer seulement des concerts, on a commencé à demander à des artistes de partager leurs pratiques avec des jeunes pour réussir à créer des dynamiques autour de ceux qui viennent s’intéresser à ce qui nous anime. A un moment donné, on s’est rendus compte que pas mal d’artistes qu’on programmait fonctionnent en dehors des circuits classiques, sont des outsiders. On voulait présenter ça aussi. On fait donc beaucoup d’ateliers avec des jeunes autistes, des personnes qui ont des parcours en psychiatrie et on s’est dits que ça valait le coup d’ouvrir ces portes, de se faire se fréquenter toutes ces personnes.
La musique expérimentale facilite vachement ces ouvertures.
On programme également des artistes qui sont en situation de handicap. Le festival au départ, est né autour d’un groupe qui s’appelait Reynolds, un groupe argentin dont le leader est un chanteur-batteur trisomique. A cette époque-là, on ne se posait pas les questions d’handicap, il se trouve que c’était un groupe qui nous fascinait et qu’on trouvait génial, et on a monté le festival autour de ce groupe. A l’essence même de ce festival il y a un intérêt pour ces personnes atypiques. A partir de 2013 dans notre volet de nos actions culturelles, on a élaboré des partenariats avec le monde médico-social. On s’est aperçus qu’il y avait plein de gens qui faisaient des choses dans leur coin mais ce n’est pas fédéré, il n’y a pas de réseau. Avec notre festival et ces acteurs, on commence à créer des rencontres régulièrement.
Pour les ateliers autour des musiques brutes, on invite aussi bien des artistes, des gens du médico-social comme des psychologues, psychiatres, psychomotriciens, éducateurs spécialisés et ses usagers, c’est très important que les jeunes de ces institutions participent à ces rencontres. Il y a un partage de pratiques, d’expériences, on partage un temps ensemble, c’est à la fois théorique et ludique. Il y a des performances, plein de choses qui permettent de créer des nouvelles passerelles. Ça finit ensuite par une soirée de concerts.
Arnaud : Lorsqu’on parlait tout à l’heure d’anti-entre-soi, on voit bien qu’autour du handicap mental il y a une exclusion sociale qui va avec. On le voit pendant les rencontres et c’est un thème qu’on aborde souvent. Il y a cette impression qu’il y a un “nous” et “les autres”. Une forme de barrière. Il y a des jeunes qu’on a rencontré en 2011 et avec qui on continue encore de faire des choses aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de dire “On a entre 40 et 50 ans et on avait envie d’un public plus jeune ou plus féminin ou d’un public plus quelque chose” : ça concerne réellement tout le monde.
Franq : A titre personnel, j’ai été disquaire dans une autre vie et avant ces ateliers j’avais eu quelques expériences, j’avais fait un service civil dans une structure pour personnes trisomiques et psychotiques. Ce sont des questions qui m’intéressaient. Il se trouve que je me destinais à être éducateur spécialisé et je suis devenu disquaire. Bon !
De souvenir de programmateurs depuis le début des années 2000, avez-vous des anecdotes particulières à raconter sur le Sonic Protest ?
Arnaud : C’est dur de te répondre pour trois raisons : la première c’est qu’on souffre tous les deux de la maladie d’Alzheimer, la deuxième c’est que tu n’es pas la première à nous poser cette question et du coup la troisième c’est que j’ai peur de répondre la même chose que dans d’autres interviews. [En s’adressant à Franq :] Tu pensais à celle de Kim Fowley ? Elle est bien non ? Allez, je te laisse la faire alors ! Ecoute la bonne anecdote de Tonton Franq et s’il y a des lecteurs qui l’ont déjà lu ailleurs, ils gagneront des places !
Franq : C’est le coup de fil c’est ça ?
Arnaud : Oui !
Franq : Alors. On a organisé un concert exceptionnel de Kim Fowley, qui est quand même le producteur des Runaways, un précurseur du rock’n’roll des années 60, garage, tout ce qui est outsider. Il était en tournée et je devais l’accueillir. Le premier truc qu’il nous a demandé quand il est arrivé à Paris était des adresses de lieux échangistes, sadomasochistes et compagnie. On a fait en sorte de répondre à ses attentes, c’est un peu notre travail.
Arnaud : L’accueil !
Franq : Je l’avais amené à l’hôtel avec son ami. A un moment donné je retourne vaquer à mes occupations et je reçois un coup de téléphone, c’était la dame de l’hôtel, furax, ils avaient tout détruit dans la chambre d’hôtel. J’étais en panique totale et il s’est avéré que c’était une blague. J’y ai vraiment cru !
Est-ce que vous avez des noms à conseiller pour cette édition, des groupes que vous voulez vraiment aller voir ?
Arnaud : J’espère qu’il y aura beaucoup de monde pour accueillir un musicien japonais qui s’appelle Masaya Nakahara (Hair Stylistics) qui est un des pionniers de la scène bruitiste japonaise. Les musiciens japonais, il y en a quelques uns qui tournent tous les ans, ils sont très sympas mais ce sont toujours les mêmes. Et puis il y a ceux qu’il faut aller chercher et lui, ce n’est pas quelqu’un qu’on reverra de sitôt ! C’est un gars complètement loufoque qui fait bien la synthèse de tout ce qu’on aime à Sonic Protest. Il y a des choses très expérimentales et en même temps il y a un côté très accessible par rapport à son surréalisme. Il a un univers assez délirant. C’est vraiment un gars qu’il ne faut pas louper.
Franq : Dans Huggy les bons tuyaux, en dehors des évidences comme Lee Scratch Perry, Powell et les gros noms portes-étendard qui parlent d’eux-mêmes, il y aura une journée qui va se passer à l’Echangeur le 14 mars qui est à mon avis une belle porte d’entrée vers notre univers. C’est une journée très généreuse, ça commence à 17h et ça finit bien évidemment dans la nuit avec des choses très différentes comme de la musique électro-acoustique dans l’héritage GRM, dans une autre salle il y a un Pierre Gordeeff qui montera une installation de composants électroniques que lui seul arrive à jouer. Il y aura aussi du rock, de la techno faite à la main, il n’y a jamais quelque chose qui est exactement comme ça devrait l’être, mais ça rend l’évènement encore plus excitant.
Arnaud : Une soirée qui risque d’être assez folle aussi, qui va nous faire partir de Finlande pour nous faire arriver en Indonésie en passant par Vierzon ! Ça se passera à la Marbrerie le 20 mars avec les Black Trumpets avec Keijo Virtanen, l’une des grandes figures de la scène indépendante psychédélique en Finlande. On est très contents de l’accueillir. C’est un musicien qui a la maladie de Parkinson. Son aidant, c’est son guitariste-batteur, donc ils viennent à quatre et ça nécessite du point de vue de l’organisation une prise en charge différente, un peu plus compliquée mais ça vaut vraiment le coup de mettre la main à la pâte. Senyawa qui vient d’Indonésie, c’est vraiment la bizarrerie de ces dernières années qui a marquée tout le monde, c’est un duo incroyable. Et les Bonne Humeur Provisoire qui sont eux d’ici et qui font le trait d’union entre ces univers loufoques. Ça va être une belle soirée !
Le festival Sonic Protest a lieu du 6 au 22 mars. Toutes les infos et la programmation complète ici.
Le Bombardier te fait gagner des places pour la soirée du 14 mars à l’Échangeur avec entre autres Why The Eye?, Fleuves Noirs et Maria Violenza. Pour participer, il suffit de répondre au formulaire ci-dessous :
Bonne chance ! Fin du concours le 13 mars à midi et annonce des gagnants par mail dans l’heure qui suit.